Les dernières recommandations de pratique clinique, publiées début octobre par la Haute autorité de santé, insistent en premier lieu sur le fait que les violences conjugales sont aussi une affaire éminemment médicale. « Ce sujet n'est pas réservé aux assistantes sociales ou à la police, car il affecte directement la santé de nos patientes », explique le Dr Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne, membre du groupe de travail.
Les troubles qui alertent
L'implication des généralistes est d'autant plus importante que les patientes victimes de violences fréquentent les cabinets médicaux. Selon la HAS, trois à quatre femmes sur dix d'une salle d’attente seraient l'objet de violences de couple physiques ou psychologiques. Une victime sur cinq a consulté en premier lieu un médecin à la suite d’un incident.
Comme l'explique la HAS, « la violence au sein du couple, qu’elle soit physique, sexuelle, verbale ou psychologique, peut avoir une incidence majeure sur la santé des victimes. L’état de tension, de peur et d’angoisse dans lequel elles sont maintenues par leur agresseur, de même que les coups et blessures, ont de graves conséquences sur la santé et sont à l’origine de troubles très variés : physiques (signes fonctionnels vagues, chroniques, inexpliqués, lésions traumatiques répétées…), psychologiques (dépression, addictions, stress post-traumatique, troubles émotionnels, anxiété, troubles du sommeil ou de l’alimentation…), sexuels (infections répétées, douleurs pelviennes, grossesses non désirées, comportement à risque pendant la grossesse...), etc. »
Devant ces troubles, une suspicion de violence doit être évoquée par le médecin généraliste et ce d’autant plus que la victime est jeune, d’un faible niveau d’instruction, dépendante financièrement, qu'elle a déjà été maltraitée pendant son enfance ou se trouve en état de handicap ou de dépendance. Un accompagnant trop impliqué, répondant à la place de son ou sa partenaire, minimisant les symptômes ou tenant des propos méprisants est aussi un signe d’alerte.
Toujours poser la question
Au-delà de ces situations à risque, la HAS recommande au généraliste d'aborder systématiquement la question des violences avec chaque patiente. « Il est important d'intégrer les violences comme une donnée de notre raisonnement clinique, de notre démarche diagnostique et thérapeutique », explique le Dr Mathilde Vicard-Olagne, généraliste à Clermont-Ferrand et membre du groupe de travail. Cette consultation doit se faire en toute confidentialité – y compris en téléconsultation, précise la HAS – et en favorisant un climat de confiance. Le partenaire ou l’entourage ne doit pas y participer car les victimes, qui déjà parlent rarement des violences subies, doivent pouvoir s’exprimer librement. Il est recommandé de débuter l’entretien par des questions ouvertes, adaptées à la situation et de préciser que ces aspects sont abordés de façon systématique. Si la personne ne souhaite pas parler, il est essentiel de noter les éléments de doute dans le dossier et d’indiquer une liste des structures d’aides existantes.
Si la victime aborde le sujet, il est essentiel d’être à l’écoute, de ne pas banaliser et d’insister sur la confidentialité de la consultation. Le médecin légitime la situation de victime de la patiente, lui confirme qu’elle est dans son droit en demandant de l’aide et l’y encourage. Il est important de rappeler que les faits de violence sont interdits et punis par la loi, et que la victime est en droit de déposer plainte. Dans ce cas, un certificat médical daté du jour de la consultation est établi. Il doit répondre à des règles précises, reporter les dires en mode déclaratif (« la victime déclare… »), ne pas désigner de tiers responsable, noter les doléances de façon exhaustive et décrire les faits médicalement constatés. Le certificat médical peut préciser les éléments « d’incapacité » observés qui aideront les médecins légistes à déterminer l’ITT (incapacité totale de travail).
En cas de signes de gravité (fréquence, contexte, menaces…), le généraliste peut décider d’une hospitalisation immédiate, « conseiller de porter plainte » et informer la victime qu’elle peut saisir le juge aux affaires familiales pour une mesure d’éloignement immédiate, même si aucune plainte n’a été portée, précise la HAS.
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