C’EST UNE SPÉCIALISTE doublée d’une militante, Claire Compagnon, ex-directrice de l’association Aides, qui a mené l’enquête pour le compte de la HAS. Analysant 59 plaintes adressées par des patients et leurs proches, elle a repéré des manquements multiformes aux droits des patients, commis dans tous types d’établissements, publics et privés. Ils relèvent de la maltraitance dite « ordinaire », parce qu’ils ne sont ni délictuels, ni intentionnels, ni exceptionnels. Présents dans le quotidien, banalisés, presqu’invisibles et impalpables, ils sont liés à des comportements individuels qui semblent parfois considérer la personne hospitalisée comme un objet : des soignants qui discutent entre eux comme si le patient déshabillé n’était pas là, n’entendent pas ce que veulent leur dire les malades ou leurs proches, tiennent des propos blessants, expriment des menaces plus ou moins explicites, suscitent des sentiments de culpabilisation et même se livrent à des engueulades ( « mot qui revient souvent comme aucun terme ne pouvait être aussi juste », note le rapport).
À côté de ces dérapages personnels, le rapport Compagnon identifie les facteurs institutionnels de la maltraitance : procédures d’accueil plus soucieuses d’organisation que de prise en compte des personnes, manque de disponibilité lié à l’abondance des tâches, bruits qui peuvent être insupportables (talons et portes qui claquent, chariots qui dévalent les couloirs, chahut nocturne...), retards sans explication dans la réalisation des examens, décisions de sortie expéditives, absence de réponse aux courriers de doléance.
Trois « traceurs ».
Trois « traceurs » de la maltraitance ont été mis en évidence, au premier rang desquels l’information des patients. Entre le défaut pur et simple d’information et l’information délivrée avec brutalité et sans égards, note Claire Compagnon, « c’est le même déni de la personne qui est commis, le patient n’étant pas traité comme en capacité de comprendre sa maladie et sa propre situation ». La douleur, quand elle est niée et insuffisamment soulagée, est aussi souvent évoquée. Elle suscite un sentiment de scandale d’autant plus aigu que rien n’explique le retard dans la prise en charge des douleurs intenses. Des actes sont encore réalisés avec brutalité, ou sans anesthésie malgré les préconisations (myélogrammes). Enfin, la dignité du malade n’est pas toujours respectée (atteinte à l’intimité et à la confidentialité, hygiène corporelle ou de la chambre, traitements dégradants).
Si aucune structure n’échappe à ce tableau, certains services semblent davantage exposés au risque de maltraitance. En réanimation, sans doute parce que la technicité des actes l’emporte sur le facteur humain, les professionnels peuvent en oublier qu’ils ont en face d’eux des personnes. Aux urgences, ce n’est pas tant l’attente, avec des délais parfois très longs, qui est évoquée par les plaignants, que l’impression d’avoir été oublié, après un accueil très « administratif », dont les règles semblent abstraites pour ne pas dire inhumaines.
Et c’est dans les périodes de fin de vie que tout manque d’humanité est ressenti comme plus insupportable. L’accompagnement des proches, aussi bien dans la phase agonique que dans celle qui la précède, lorsque la mort est inéluctable, semble difficilement admis par des professionnels débordés et mal préparés. L’arrêt des démarches curatives peuvent produire, dans la foulée de la rupture de soins, une rupture de dialogue au pire moment.
Sur ce chapitre des fins de vie, la HAS a revu ses exigences dans le cadre de la nouvelle certification des établissements (V2010) ; elle y introduit la nécessité d’un projet global de soin, l’accompagnement des familles endeuillées, la formation et le soutien des professionnels. La HAS en fait une « pratique exigible prioritaire » (PEP), critère 13.a du manuel, c’est-à-dire qu’en cas de non-respect, l’établissement verra rejetée sa demande de certification.
De même est érigé en PEP (critère 9.a) la gestion des plaintes et des réclamations, laquelle devra faire l’objet d’une attention de la direction et des personnels. Globalement, c’est une démarche de bientraitance (critère 10.a) qui devra être impulsée par le management de l’établissement, avec la commission des relations avec les usagers. Elle devra passer par « des actions concrètes de prévention ».
À leur appui, la HAS annonce la sortie dans les prochains mois d’un guide des bonnes pratiques. « Une démarche, souligne le Pr Degos, qui s’inscrit dans la mise en uvre de la loi du 4 mars 2002 sur les droits du malade et qui, souligne-t-il , procède aujourd’hui encore d’un changement de culture ».
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