Dans les quartiers populaires, au centre et au nord, les urgences saturent et sont en proie à une violence grandissante. Après les agressions de cet été et le défilé des ministres, un plan d’action a été mis en place. Le personnel hospitalier ne s’attend pas à des miracles, mais continue coûte que coûte de répondre présent.
ELLE TRAVAILLAIT le lendemain de la nuit où un infirmier s’est pris un couteau dans le bras, le 18 août. Hélène* est aide-soignante aux urgences de la Conception. Jeune, motivée, elle parle aux gens calmement, même aux drogués jusqu’à l’os, travaille sans peur. Cet incident-là l’a tout de même secouée. « La cadre nous a dit que c’est normal de se faire agresser aux urgences », glisse-t-elle, encore stupéfaite.
L’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) a vite réagi pour ramener le calme. Au lendemain du drame, son directeur général réclamait au préfet des renforts policiers. Et Jean-Jacques Romatet d’avouer par courrier son incapacité à assurer la protection du personnel « avec les moyens de gardiennage et de surveillance à [sa] disposition ».
En août toujours, à l’hôpital Nord cette fois, une arme à feu aurait été vue dans les mains d’un patient hospitalisé en chirurgie thoracique. « La Provence » a parlé de prise d’otage. Titre à sensation ou réalité, les versions diffèrent. « L’hôpital n’a pas porté plainte, c’est grave », réagit ce praticien, qui dénonce une tolérance locale vis-à-vis de la violence. « Marseille ne se résume pas aux kalachnikovs », tempère un autre professionnel. C’est compliqué aux urgences partout en France ».
La direction générale du CHU marseillais, déterminée à « sanctuariser l’hôpital », propose un plan détaillé de prévention de la violence. Trente mesures sont envisagées, de la fermeture de l’accès de certaines unités la nuit à la présence H24 aux urgences d’un vigile avec chien, en passant par l’accompagnement des agents voulant porter plainte.
Les hospitaliers déplorent l’absence des libéraux.
Sur le terrain, on apprécie la dynamique affichée mais on ne table guère sur une révolution. Ce praticien de l’hôpital Nord est dubitatif : « La violence de la ville aboutit à l’hôpital, c’est notre lot quotidien. Un patient m’a poursuivi dans les couloirs avec un grand shlass. J’ai dans mon tiroir une collection de couteaux. Mon personnel a été formé pour gérer l’agressivité, ça s’est calmé dans mon service. Pas aux urgences. En amont, les généralistes n’arrivent plus à assumer. Entre l’hôpital Nord et l’hôpital Euroméditerranée, il y a 11 km, et très peu de spécialistes libéraux. C’est là qu’on voudrait du soutien ».
Le centre-ville de Marseille, paupérisé, connaît aussi une très grande précarité. Aux urgences de la Timone et de la Conception, les temps d’attente pour les lits d’aval et l’imagerie créent des tensions. « Énormément de gens viennent aux urgences pour rien, note Hélène*, aide-soignante à la Conception. Mais les faire patienter cinq ou six heures sans rien leur dire, je comprends que ça les énerve ».
Les incivilités, rançon de la pauvreté.
Fin 2014, les urgences du centre-ville emménageront dans un bâtiment plus vaste. D’ici là, il faut composer avec des locaux inadaptés. Et une relation médecin malade qui ne cesse de se dégrader. « Le dimanche, les gens arrivent après le film ou le match d’Arsenal, note cet urgentiste de la Timone. Ils sont chez eux chez nous. Les vigiles n’ont pas le droit d’intervenir physiquement quand ça tourne mal. La nouveauté, ce n’est pas le grand banditisme, mais les incivilités, le climat. C’est la rançon de la pauvreté. Le tissu associatif s’est délité par la faute des politiques. Quand le guetteur de 10 ans dans la cité gagne 3 000 euros par mois et nourrit sa famille, pourquoi irait-il à l’école ? ». Et le praticien de déplorer à son tour l’absence d’offre libérale en soirée : « Les généralistes ne prennent plus de garde. On est saturé, et on ne fait pas toujours de la bonne médecine ».
L’AP-HM peine à fidéliser son personnel. Un ancien urgentiste de l’hôpital Nord assure : « Ce n’est pas la guerre sur place mais l’équipe est à flux tendu. Quelques-uns sont partis parce que c’était dur. La seule limite est humaine : il faut plus de personnel, et plus de lits ».
Le clientélisme politique n’arrange rien.
Comment rompre le cycle des violences ? La réponse, à l’évidence, est multiple et complexe. À cinq mois des municipales, les politiques font monter la sauce. La gauche rêve de faire tomber Marseille. Envoi de l’armée, de drones, de commandos de gendarmes... Chaque candidat socialiste pense détenir la clé pour assainir les quartiers. « Et pourquoi pas des chars devant l’hôpital », raille ce PH excédé. L’actuel maire de la ville, Jean-Claude Gaudin (UMP), est attaqué pour son inaction. « Il ne s’occupe que des beaux quartiers qui ont voté pour lui », fustige le même praticien.
Refusant le clientélisme local ainsi que le vote Front national, un collectif d’habitants des quartiers populaires réclame « un vrai plan d’urgence pour ramener tous les services publics » là où les képis, mais aussi les blouses blanches, ont déserté. « Nous sommes tous des Marseillais », clament les militants. L’AP-HM a un projet de centre de santé universitaire dans les quartiers Nord. D’anciens médecins de la Mutualité ont eux aussi un projet dans les cartons. Reste à voir si ces initiatives aboutiront, et si elles suffiront à dévier une patientèle habituée à se rendre aux urgences en première intention.
* Prénom d’emprunt
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