À trois reprises, la Caisse primaire d’assurance-maladie (Cpam) de Roubaix-Tourcoing a refusé de prendre en charge son augmentation mammaire… Entre février et avril 2021, Capucine Hasbroucq, femme transgenre, a essuyé trois fins de non-recevoir de la part de la Cpam du Nord, émettant un avis défavorable quant au remboursement de sa mammoplastie bilatérale. Et ce, malgré la prescription de son médecin traitant, les certificats fournis par le CHU de Lille et son affection de longue durée.
Transition médicale
Depuis près de 5 ans, cette patiente transgenre avait entamé sa transition médicale. Après prescription de son médecin traitant, elle obtient en novembre 2020 un certificat du service de chirurgie plastique et reconstructive du CHU de Lille pour prendre en charge une mammoplastie bilatérale avec pose d’implants. Sauf qu’en février 2021, le médecin-conseil de la Cnam refuse le remboursement. Deux mois plus tard, c’est au tour du médecin-conseil de la Cpam du Nord de débouter à nouveau sa demande, que Capucine Hasbroucq conteste quelques semaines plus tard dans un « recours à l’amiable ».
Après trois refus, la patiente porte l’affaire devant le tribunal judiciaire de Lille. Fin février 2022, les juges ont finalement débouté la Cpam et donné raison à la patiente. En refusant le remboursement d'une opération mammaire à une femme trans, la caisse primaire a appliqué « une différence de traitement avec une femme cisgenre, discriminatoire au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme comme de nature à créer une inégalité de traitement en matière d’accès à la santé en fonction de l’identité de genre », tranche le tribunal.
Une victoire pour Trans Santé France – association des personnes trans, des personnels médicaux et paramédicaux, juristes – qui jugeait les motifs de refus « fallacieux et en contradiction avec la réglementation en vigueur ».
Obstacles administratifs
En transition médicale depuis 2016, Capucine Hasbroucq, également présidente de Trans Santé France, était suivie par une équipe pluridisciplinaire du CHU de Lille. Elle bénéficie également d’une ALD 31 (hors liste) et d’un changement d’état civil. Documents et avis médicaux à l’appui, la patiente fait valoir que son opération mammaire relève de la nomenclature des actes, remboursée en cas d'« hypoplasie bilatérale sévère avec taille de bonnets inférieurs à A ». Ainsi, pour la plaignante, être une femme trans ne justifie en rien une telle exclusion de prise en charge.
Devant le tribunal, elle déclare être victime de la part de la caisse primaire d’« une discrimination fondée sur l’identité de genre » et plaide que « le refus de la CPAM consiste à ajouter des obstacles administratifs à sa reconnaissance en tant que femme », peut-on lire sur le jugement du tribunal lillois
Protocole daté de 30 ans
Pour sa défense, la caisse du Nord a justifié son refus arguant que le médecin-conseil n’aurait pas reçu tous les éléments attendus. Des certificats réclamés par la Cpam, mais qui se basent sur un protocole de la Haute autorité de Santé daté de 1989…
Pour le tribunal, « aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit la prise en charge financière par les organismes de Sécurité sociale d’acte médicaux » réalisé chez ces patients trans. Seules deux conditions sont nécessaires au remboursement : le caractère thérapeutique de l’opération et l’inscription à la nomenclature des actes.
Les juges lillois considèrent que « le protocole appliqué par la caisse a pour effet d’ajouter une condition supplémentaire à la prise en charge d’opérations chirurgicales privant les personnes transgenres de soins nécessaires à une transition dont le caractère thérapeutique est justifié en l’espèce ».
Préjudice moral
Le tribunal judiciaire impose ainsi la CPAM de Roubaix-Tourcoing de prendre en charge l’intervention chirurgicale sans délais, mais aussi de verser des dommages et intérêts à la patiente. Les juges ajoutent un autre dommage en expliquant qu’« imposer des conditions de prise en charge issues d’un protocole rédigé il y a plus de 30 ans » constitue un préjudice moral qu’il « convient de réparer ».
En 2020 déjà, la Défenseuse des droits Claire Hédon avait recommandé aux caisses primaires de ne pas tenir compte du protocole de 1989. Elle demandait à l’Assurance-maladie « d’assurer la prise en charge effective et systématique des opérations chirurgicales des personnes en transition sexuelle ».
Désormais, Trans Santé France souhaite que le jugement lillois fasse jurisprudence. Car, si certaines caisses primaires jouent le jeu « sans difficulté et sans discriminations », d’autres « refusent des prises en charge comme celles concernant des traitements hormonaux, des séances d’orthophonie, l’épilation définitive ou même des interventions plus lourdes ».
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