L’administration fiscale, avec la complicité – active ou passive ? – de certains dirigeants d’organismes de gestion agréés (OGA), s’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes taillé sur mesure, arrive peu à peu à ses fins : déléguer aux OGA les missions de contrôle fiscal qui lui incombent normalement, ce qui lui évite d’engager des fonctionnaires… C’est donc l’adhérent, en envoyant sa cotisation à son AGA, qui paiera pour être soumis à un contrôle fiscal !
Pour que l’astuce passe plus facilement, la réforme n’a pas figuré dans le projet de loi de Finances pour 2016 ni dans celui de la loi de Finances rectificative pour 2015. Elle a été discrètement insérée dans un amendement présenté par le Gouvernement et discuté – si l’on peut parler de discussion – pendant cinq minutes dans l’indifférence des quelques parlementaires présents…
La nouvelle loi commence par annuler deux mesures préconisées par le rapport de la Cour des comptes sur les OGA en 2014 et qui figuraient dans la loi de Finances pour 2015.
La réduction d’impôt pour frais de comptabilité est maintenue, légèrement modifiée
Les adhérents des AGA bénéficiaient d’une réduction d’impôt pour leurs frais de comptabilité et d’adhésion à l’association, à condition d’avoir des recettes inférieures à la limite du régime micro-BNC, soit 32 900 euros actuellement, et d’être imposés selon le régime de la déclaration contrôlée. La réduction d’impôt était plafonnée depuis de nombreuses années à 915 euros par an et elle ne pouvait excéder l’impôt sur le revenu de l’année. La loi de Finances pour 2015 avait prévu la suppression de cet avantage à partir du 1er janvier 2016, suivant en cela les recommandations du rapport de la Cour des comptes.
La loi de Finances rectificative pour 2015 revient sur cette suppression, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, mais en limitant la réduction d’impôt aux deux tiers des dépenses exposées pour la tenue de comptabilité et l’adhésion à une AGA. La limite de 915 euros est également maintenue.
Le plafonnement aux deux tiers des dépenses s’appliquera à compter de l’imposition des revenus de l’année 2016. Elle ne jouera donc pas pour la prochaine déclaration des revenus 2015.
Le salaire du conjoint de l’exploitant reste totalement déductible
La loi du 29 décembre 2014 prévoyait qu’à compter du janvier 2016, la déduction du salaire du conjoint d’un adhérent à un OGA serait plafonnée à 17 500 euros, comme elle l’est pour le conjoint d’un non-adhérent. La loi de Finances rectificative pour 2015 revient sur ce plafonnement. Le salaire du conjoint d’un adhérent d’un OGA reste donc déductible en totalité, quel que soit son régime matrimonial.
Il faut noter toutefois que cette déduction concerne de moins en moins de professionnels libéraux. Elle intéresse plutôt les commerçants, les artisans et les agriculteurs.
Le délai de reprise reste fixé à 3 ans
Pour faire passer le reste de sa réforme, l’administration fiscale fait donc aux adhérents deux mini-cadeaux mais elle ne revient pas sur la mesure la plus importante de la loi du 29 décembre 2014 : la suppression de la réduction à deux ans du délai de reprise de l’administration. Le délai de reprise des adhérents d’OGA reste donc fixé à trois ans, comme il l’est pour tous les autres contribuables.
Voici comment le piège a fonctionné.
À l’origine, l’administration fiscale n’avait pas accès aux documents des OGA, notamment aux résultats des examens de cohérence, concordance et vraisemblance, ce qui ne lui plaisait pas beaucoup. En 2011, elle eut une idée. Les OGA devraient lui communiquer chaque année un « compte rendu de mission » indiquant les travaux effectués pour chaque adhérent (demandes d’éclaircissement, déclarations rectificatives, etc.). En contrepartie, pour faire passer la pilule, l’administration proposa de faire passer de trois ans à deux ans le délai pendant lequel elle pouvait faire des redressements sur les revenus professionnels des adhérents. De bonnes âmes nous expliquèrent que le marché était équilibré. En fait, l’apparition du « compte rendu de mission » changeait totalement et définitivement la nature des OGA.
Le système fonctionna quelques années jusqu’à ce que la Cour des comptes publie opportunément un rapport en septembre 2014 qui considérait que la réduction du délai de reprise de trois ans à deux ans était un trop beau cadeau pour ces voyous de travailleurs indépendants, notamment les professionnels libéraux. L’administration sauta sur l’occasion et supprima dans la loi de Finances pour 2015 la réduction du délai de reprise.
Question pour les naïfs : pensez-vous qu’en contrepartie, le « compte rendu de mission » a été supprimé ? Bien sûr que non, et l’administration a même, dans la loi de Finances rectificative pour 2015, augmenté sensiblement les pouvoirs et les missions des OGA, allant même au-delà des souhaits de la Cour des comptes.
Accès ouvert aux pièces justificatives
Car désormais, les OGA pourront demander à leurs adhérents non seulement tous « renseignements » comme c’était le cas jusqu’à maintenant mais également tous « documents » utiles pour procéder à l’examen de la forme de la déclaration de résultat ainsi qu’à l’examen de concordance, de cohérence et de vraisemblance qu’ils doivent effectuer. En ajoutant « tous documents » à « tous renseignements », c’est-à-dire en permettant aux OGA d’avoir accès aux pièces justificatives de leurs adhérents, la loi accroît sensiblement les pouvoirs des OGA et rapproche leurs missions de celle du contrôle fiscal.
Votre AGA pourra donc désormais vous demander de lui communiquer les pièces justificatives de vos dépenses professionnelles. Et, par conséquent, contester le bien-fondé de leur déduction…
La « sincérité » en examen
Mais ce n’est pas terminé. La loi de Finances rectificative met en effet à la charge des OGA une nouvelle mission, celle de procéder à un « examen périodique de sincérité », selon des modalités qui seront définies par un décret en Conseil d’État. On ne sait pas encore quelle sera la périodicité de cet examen, ni ses modalités mais on voit déjà qu’il pourra s’appuyer sur l’examen des pièces justificatives de la comptabilité. Indépendamment du fait qu’il empiète sérieusement sur les prérogatives des experts-comptables (qui apprécient peu cette concurrence), on constate qu’il n’y a plus qu’une seule différence entre les nouvelles missions des OGA et la « vérification de comptabilité » faite par l’administration : l’examen des recettes !
Le plus cocasse étant que l’administration s’est crue obligée de préciser dans la loi que « cet examen ne constitue pas le début d’une des procédures mentionnées aux articles L 12 et L 13 du livre des procédures fiscales », c’est-à-dire l’examen de situation fiscale personnelle et la vérification de comptabilité. C’est avouer qu’il n’y a pas grande différence entre les deux.
Mais cet ajout dans la loi a des conséquences graves. Car cela signifie que les adhérents des OGA ne bénéficieront pas des garanties offertes par la loi aux contribuables lors des vérifications de comptabilité, notamment le caractère oral et contradictoire, la durée de la vérification, l’indication des conséquences financières des rectifications, etc.
Et si l’examen de sincérité a lieu tous les trois ans, cela veut dire qu’il faudra ressortir ses comptes des trois dernières années et se replonger dedans pour fournir les pièces justificatives demandées par l’OGA. Ce qui ne vous mettra pas à l’abri d’une vérification de comptabilité faite par l’administration !
Ajoutez à cela que la compétence de certains salariés d’OGA peut être plus ou moins grande, que la fiscalité n’est pas une science exacte et que certains textes peuvent avoir des interprétations différentes. Qui va trancher en cas de désaccord entre l’OGA et son adhérent ? D’autant que les conséquences peuvent être lourdes. Désormais, si vous êtes exclu de votre AGA (parce que vous n’avez pas répondu correctement à ses demandes, parce que vous avez refusé de déposer une déclaration rectificative ou parce que l’administration a demandé votre exclusion), votre bénéfice imposable sera majoré de 25 % !
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