Tout professionnel libéral se pose un jour la question : en cas de difficultés financières, dues par exemple à la maladie, est-ce que je ne risque pas de perdre la résidence de la famille ou les placements que j’ai laborieusement constitués ? Car, sur un plan juridique, vous n’avez qu’un seul patrimoine (la distinction patrimoine privé – patrimoine professionnel est pour le moment uniquement fiscale) et, si vous avez des dettes professionnelles que vous ne pouvez pas rembourser, votre créancier peut saisir n’importe lequel de vos biens privés. Il existe cependant des moyens pour se bien protéger.
La solution classique consiste dans la création d’une société d’exercice libéral mais la lourdeur et les nombreux inconvénients de cette structure dissuadent la majorité des professionnels de l’adopter. Or, il existe déjà une procédure – très peu utilisée - pour protéger vos biens immobiliers. De plus, à partir de 2011, vous pourrez opter pour un nouveau statut, l’EIRL- entreprise individuelle à responsabilité limitée - encore plus protecteur.
La protection des biens immobiliers
Depuis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, il est possible de mettre à l’abri des créanciers « professionnels » sa résidence principale et depuis 2008, cela peut concerner l’ensemble de ses biens immobiliers, bâtis et non bâtis, non affectés à un usage professionnel. Il suffit pour cela de faire une simple déclaration devant un notaire, déclaration qui sera publiée au bureau des hypothèques ainsi que dans un journal d’annonces légales. Le coût de la formalité est variable selon la consistance du patrimoine mais il est de l’ordre de 700 à 800 euros.
Dans la déclaration, il n’est pas nécessaire d’évaluer les biens protégés (puisqu’ils échappent aux créanciers professionnels). A noter que la simple domiciliation du déclarant dans son local d’habitation ne fait pas obstacle à ce que ce local fasse l’objet de la déclaration.
Deux points importants à noter cependant :
- la déclaration n’a d’effet que vis-à-vis des dettes nées à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant. Les biens immobiliers pourront donc être éventuellement saisis par les créanciers « privés ».
- Elle n’a d’effet d’autre part que pour les créances postérieures à la date de sa publication. Elle n’offre aucune protection pour les créances antérieures à cette date. Il ne faut donc pas attendre d’être surendetté pour faire cette formalité.
La protection offerte par la déclaration se termine dans trois cas :
- quand le déclarant révoque la déclaration,
- en cas de décès de ce déclarant,
- en cas de dissolution du régime matrimonial, quand le bien concerné est attribué au conjoint du déclarant.
La renonciation à la protection peut être faite pour un ou plusieurs biens immobiliers et concerner un ou plusieurs créanciers. Vous pouvez, par exemple, renoncer uniquement à la protection d’une résidence secondaire au profit de votre banque, si celle-ci vous le demande pour vous accorder un prêt.
La déclaration ne vous empêche pas de vendre votre résidence principale ou tout autre bien qu’elle mentionne. Bien au contraire, le prix que vous recevez demeure insaisissable par les créanciers professionnels à la condition d’être réutilisé dans l’année qui suit la vente pour l’achat d’une nouvelle résidence principale. Il faut alors que ce « remploi » soit mentionné dans l’acte d’achat de la nouvelle résidence.
Un nouveau statut dès le mois prochain
A partir du 1er janvier 2011, l’ensemble des travailleurs indépendants (commerçants, artisans, exploitants agricoles et professions libérales) pourront adopter un nouveau statut dont le principal avantage est la protection du patrimoine privé : « l’entreprise individuelle à responsabilité limitée » ou EIRL. Les professions médicales et paramédicales ainsi que les pharmaciens sont donc concernés par ce changement
A l’inverse de la déclaration devant notaire, il s’agit dans ce statut de constituer un patrimoine professionnel qui sera affecté à la garantie des créanciers professionnels. C’est donc l’ensemble du patrimoine privé, et non plus seulement les biens immobiliers, qui échappera à ces créanciers.
En pratique, il faudra déposer au greffe du tribunal de commerce du lieu d’exercice une déclaration indiquant l’activité que l’on exerce ainsi que la nature, la qualité, la quantité et la valeur des biens constituant le patrimoine professionnel affecté.
Ce patrimoine sera composé :
- des biens corporels ou incorporels nécessaires à l’exercice de l’activité (mobilier et matériels professionnels, droit au bail, parts de SCM, etc.) dont le déclarant est propriétaire ou titulaire,
- des biens utilisés pour l’exercice de la profession que le déclarant décide d’affecter au patrimoine professionnel (on peut penser qu’il s’agit essentiellement du local professionnel et de la voiture utilisée à titre professionnel).
En cas de biens communs ou indivis, le conjoint ou le co-indivisaire devra donner son accord à l’affectation du bien au patrimoine professionnel. L’accord devra être déposé au greffe du tribunal de commerce en même temps que la déclaration.
Si vous voulez faire entrer postérieurement un nouveau bien dans votre patrimoine affecté, il faudra faire une nouvelle déclaration respectant les mêmes règles que la première.
Il faudra également indiquer le revenu que l’on versera dans son patrimoine privé.
Il sera indispensable d’évaluer chaque bien dans la déclaration. C’est le déclarant qui devra lui-même procéder à cette estimation sauf :
- pour les biens immobiliers. L’évaluation devra être effectuée par un notaire et publiée au bureau des hypothèques.
- pour les biens d’une valeur supérieure à 7 500 euros qu’il faudra faire évaluer par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes.
Dans le cas d’un local mixte partiellement affecté à l’exercice de la profession, on devra également établir un « acte descriptif de division ».
Ce nouveau statut entraînera d’autres obligations. La mention du statut d’EIRL devra apparaître sur tous les documents professionnels. Il faudra donc que le nom de l’entrepreneur soit suivi ou précéder de la mention « entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ou, plus discrètement, du sigle EIRL.
En outre, les comptes annuels devront être déposés, chaque année, au greffe du tribunal de commerce. La déclaration 2035 pourra donc être librement consultée.
Enfin, il faudra obligatoirement avoir un compte bancaire professionnel.
L’avantage de l’EIRL
Toutes ces procédures peuvent paraître contraignantes mais, en contrepartie, elles présentent l’avantage de faire échapper la totalité du patrimoine privé aux créanciers professionnels, qu’ils s’agissent de biens immobiliers ou mobiliers.
Une seule exception (mais elle est de taille) : en cas de redressement fiscal ou social, le recouvrement des sommes dues s’applique à la totalité du patrimoine, privé et professionnel. Or, en cas de difficultés financières, ce sont souvent les impôts et les charges sociales que l’on a du mal à payer…
La protection du patrimoine affecté ne jouera que pour les créances professionnelles postérieures à la date du dépôt de la déclaration au greffe du tribunal de commerce. Toutefois, la déclaration pourra être également opposée aux créanciers professionnels pour une créance antérieure à cette date à deux conditions :
- elle devra mentionner cette possibilité,
- ces créanciers devront être informés de l’existence de ce document.
Mais, dans ce cas, ils pourront s’opposer à la déclaration… Là encore, il faut se décider avant qu’il ne soit trop tard. L’EIRL ne sera pas pour vous si vous êtes déjà surendetté.
Ce statut présente-t-il un intérêt pour les médecins ? Oui, pour celui qui se lance dans des investissements importants et qui prend des risques financiers, comme peuvent le faire les radiologues, les biologistes ou les ophtalmologues.
Non, dans la plupart des cas pour les autres. Si votre patrimoine est essentiellement immobilier, la déclaration devant notaire est suffisante, d’autant que les contrats d’assurance vie ne sont pas saisissables. L’EIRL peut également intéresser les pharmaciens qui ne souhaitent pas constituer une société et dont les risques de faillite ne sont pas négligeables.
Mais il faudra surtout que les banques jouent le jeu et qu’elles ne demandent pas, comme elles le font trop souvent lorsqu’une société souhaite emprunter, la caution personnelle de l’entrepreneur, c’est-à-dire l’engagement de son patrimoine privé. Si c’est le cas, l’intérêt de l’EIRL sera très limité.
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