J’avais toujours rêvé de prendre ma retraite à la campagne afin de jouir enfin d’une paix et d’une tranquillité qui m’avaient cruellement fait défaut durant ma longue carrière. Quoi de plus bénéfique pour mon corps et mon âme surmenés que le calme de la nature, la vue ininterrompue de collines vallonnées, les paisibles soirées où seuls retentissent les chants d’oiseaux dans le soleil couchant ? J’avais donc fait l’acquisition, pour un prix modeste après la mort de son propriétaire, d’une maison en meulière à l’orée d’un village d’une centaine d’âmes, une coquette construction avec un jardin fruitier et un vieux puits couvert. J’étais paré pour des années de calme et de tranquillité.
L’été se terminait. Le village était plongé dans une douce quiétude, une sorte d’endormissement. J’étais, ce soir-là, allongé sur mon transat à écouter les oiseaux tout en appréciant la fraîcheur du grand tilleul répandant ses senteurs lénifiantes lorsqu’un raclement de gorge vint troubler ma quiétude. C’était le maire, un escogriffe un peu gauche qui officiait également en tant qu’instituteur pour la douzaine d’enfants du village.
— Docteur, il faut que vous veniez tout de suite.
Je soulevai le chapeau de paille qui me couvrait le visage.
— Une urgence ? Vous savez bien que je n’exerce plus.
— S’il vous plaît. C’est la baronne…
La baronne était une figure pittoresque du lieu, une vieille dame excentrique qui vivait seule dans une large propriété posée sur la colline et que je n’avais croisée que de très loin.
— Que lui arrive-t-il, à la baronne ?
— Je… Je crois qu’elle est morte, Docteur. Faudrait venir voir, pour être sûr.
Les vieux réflexes ont la peau dure. Je sautai de mon transat et passai rapidement à la maison pour récupérer ma mallette médicale, une petite merveille en cuir de Toscane dont je n’avais pas eu le cœur de me séparer. Le maire m’attendait devant sa vieille 4L.
— Allons-y à pied, objectai-je, sa demeure n’est pas très éloignée.
L’édile parut embarrassé.
— C’est-à-dire… On l’a trouvée dans le bois aux loups.
Le bois aux loups ! C’était à plus de dix kilomètres du village. Qu’allait-elle donc faire là-bas ?
Le pauvre homme rougit jusqu’aux oreilles.
— Je n’en sais rien. Y a que les chasseurs qui s’aventurent aussi loin. Mais c’est bien là qu’elle est… Nous devrions nous dépêcher, s’il vous plaît.
Étrange. La baronne ne sortait guère que pour promener ses chiens, deux molosses dont les villageois se tenaient respectueusement à l’écart. Autant que je sache, elle ne s’aventurait guère hors des limites de sa propriété. Je montai dans la guimbarde et le maire démarra avant que j’aie pu trouver la ceinture de sécurité. Réflexion faite, je crois bien que le véhicule n’en possédait pas.
Nous mîmes une demi-heure pour arriver sur les lieux. Un petit groupe de chasseurs nous attendait à l’endroit où un arbre s’était abattu en travers de la route. Une voiture décapotable était garée devant, portière ouverte comme si quelqu’un en était descendu précipitamment.
— La voiture de la baronne ? m’enquis-je.
Le maire hocha la tête, puis, sans un mot, fit signe aux chasseurs qui s’engagèrent sur le talus herbeux, en direction du bois. Nous leur emboîtâmes le pas. Le pré céda rapidement la place à la forêt et notre petit groupe s’engagea dans la pénombre boisée. Quelques centaines de mètres plus loin, les chasseurs s’arrêtèrent. Un soulier rouge de femme gisait au bord du sentier. C’était mauvais signe.
Prochain épisode dans notre édition du 26 juin
Patrick Ferrer est un auteur de polar et romans noirs et de nouvelles fantastiques, policières ou de science-fiction. Son premier roman, Le baiser de Pandore, est paru aux éditions Incartades en 2017.
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