Le médecin de campagne

# 2 La battue

Publié le 26/06/2020

Prendre sa retraite à la campagne n’est pas toujours de tout repos. Surtout lorsqu’on vient vous tirer de votre transat pour vous annoncer qu’on a retrouvé le corps de la baronne du village au fond du bois aux loups et que vous êtes le seul médecin à la ronde.

Phanie

Crédit photo : DR

Après un quart d’heure de marche, les chasseurs s’arrêtèrent devant un épais bosquet. L’un d’entre eux écarta les branches, découvrant un pied blanc et lacéré. Je m’approchai. Le corps était enchevêtré dans les buissons comme si la baronne y avait cherché refuge. Qu’est-ce qui avait bien pu la terrifier au point de se jeter aveuglément dans cet entrelacs de branches et de ronces ?

— Ç’doit être les sangliers, hasarda l’un des chasseurs, un géant de deux mètres qui semblait avoir lu mes pensées.

Les autres hochèrent la tête à l’unisson.

— C’t’une sacrée vermine, continua le colosse. Saccage nos récoltes. C’est pour ça que monsieur le maire avait autorisé la battue. L’a dû tomber sur l’un d’entre eux, elle a pris peur.

Je tâtai le pouls de la pauvre femme, mais elle était déjà raide. Morte depuis trois heures au moins. Ses yeux et sa bouche grands ouverts donnaient à son visage une expression de terreur. Les ronces s’accrochaient à elle comme si elles essayaient de la retenir. La baronne n’était plus toute jeune et un effort violent – ou une peur extrême – pouvait occasionner une mort subite de l’adulte ou une mort réflexe, néanmoins une autopsie serait nécessaire pour établir la cause exacte du décès.

Je me relevai.

— J’ai bien peur qu’il n’y ait plus rien à faire pour elle. Il faut prévenir la gendarmerie.

Il me sembla voir les fusils frémir à la mention des gendarmes. Le maire me prit par le bras et me tira à l’écart.

— Il faut les excuser, Docteur. Les gens d’ici n’aiment pas que les étrangers se mêlent de leurs affaires, vous comprenez. Je ne dis pas ça pour vous, bien sûr. La ville, c’est loin et ils ne savent pas comment marchent les choses dans les campagnes.

— Je suis désolé, mais on ne peut pas classer cela comme une mort naturelle, vu les circonstances. C’est au minimum une mort suspecte, peut-être une mort violente. Il doit y avoir une enquête. C’est la loi.

— Oui, bien sûr. On va faire une enquête, ça va de soi. Mais pas besoin de déranger les gendarmes pour ça. En tant que maire, je suis pleinement habilité à assurer les fonctions de police judiciaire pour la commune et vous pourriez être mon médecin délégué pour signer le certificat de décès. Vous êtes toujours inscrit à l’Ordre des médecins, n’est-ce pas ?

Il n’avait pas tort. Bien qu’à la retraite, j’étais toujours inscrit au Tableau et n’avais donc pas abdiqué mes droits.

— Certes, mais ça ne m’autorise pas à pratiquer une autopsie, je n’ai d’ailleurs pas l’équipement pour cela.

Le maire sembla rassuré.

— Ne vous en faites pas. Nous verrons bien ce que dit l’enquête. Si une autopsie s’avère nécessaire, nous ferons cela dans les formes. Allons voir le cada… la défunte, si vous le voulez bien. Ces braves gens nous aideront à le dégager des ronces et vous pourrez faire l’examen de levée du corps.

Ce n’était pas très orthodoxe, mais il aurait été difficile de conduire un examen complet dans les fourrés. Il fallut une bonne demi-heure pour extraire le corps et l’étendre sur un talus herbeux. Le soleil descendait déjà à l’horizon. Le maire prit une série de photos avec son smartphone tandis que je retournai le corps dans tous les sens pour établir si la baronne avait subi des violences quelconques ou détecter des plaies suspectes.

— Alors ? interrogea l’édile lorsque je me relevai dans un craquement de genoux.

— Je n’ai pas trouvé d’hématome particulier ni de lésion sévère, si on écarte les griffures superficielles imputables à son parcours dans les buissons. Pas de signes de violence.

Prochain épisode dans notre édition du 3 juillet

Patrick Ferrer est un auteur de polar et romans noirs et de nouvelles fantastiques, policières ou de science-fiction. Son premier roman, Le baiser de Pandore, est paru aux éditions Incartades en 2017.

Patrick Ferrer

Source : Le Quotidien du médecin