Après les remous de #MeToo

Il faudra réinventer les codes

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Publié le 23/04/2019
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nouveaux codes

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Crédit photo : PHANIE

Un certain nombre de femmes, même et surtout les plus jeunes, décrient le féminisme, oubliant ses combats historiques. Elles se disent égalitaristes ou adeptes de la méritocratie. En réponse à #MeToo, on a vu en France 100 femmes défendre la « liberté d'importuner », craignant que ne disparaissent les jeux de séduction. Le masculinisme, mouvement de réaction au féminisme, se diffuse et organise même des stages de virilisation, dénonçant le « terrorisme féministe » responsable d'une crise identitaire masculine.

Lutter pour l'égalité ne doit pas vouloir dire reproduire la domination d'un sexe sur l'autre dans l'autre sens. L'OMS a même émis des recommandations sur la place des hommes dans l'accession à l'égalité… Pour les hommes féministes, l'égalité entre les sexes ne les dépossédera pas, mais au contraire permettra de les alléger de l'injonction à la virilité, source aussi pour eux de violences. L'enjeu étant de reconstruire une masculinité sans violence sexuelle. Pour exemple, les campagnes HeForShe #GenderEquality ou #JamaisSansElles.

La double morale sexuelle des sexologues

Par ailleurs, certain·es déplorent les effets pervers de la libération sexuelle, avec une injonction à la jouissance qui reposerait sur une vision androcentrique de la sexualité féminine. « La question mérite d'être posée. S'agit-il d'une nouvelle forme de domination masculine, ou d'un antagonisme entre la performance et le plaisir ? Que représente cette injonction à l'orgasme, alors qu'il n'est pas toujours nécessaire pour tirer satisfaction de la sexualité ? », s'interroge Nathalie Dessaux, psychologue/sexologue à Rennes. 

« En tant que sexologues, nous devons réfléchir aux modèles de la réponse sexuelle féminine que nous utilisons, tel que celui défini par Basson, qui postule, chez les femmes, hors la première rencontre, une neutralité sexuelle de base, une réceptivité sexuelle soumise à des facteurs psychologiques et un désir sexuel réactif à celui de l'homme. Ne renforce-t-on pas ainsi l'idée d'une sexualité passive chez les femmes, qui développeraient des troubles sexuels psychologiques, tandis qu'ils seraient physiologiques chez les hommes ? Ce qui, selon Alain Giami, valide une double morale sexuelle implicite ? », souligne-t-elle. 

Céder n'est pas consentir

Les féministes actuelles ont développé de nouvelles notions sur le chemin de l'égalité dans la sexualité. Ainsi, le concept d'empouvoirement (empowerment), détournée du  « deviens ce que tu es » de Nietzsche. C'est l'injonction d'agir pour devenir l'agent de sa propre destinée. Appliquée à la sexualité, on parle « d'agentivité sexuelle », propice à la (dé)construction des stéréotypes sexuels. Cela implique une prise de conscience à partir de l'agir sexuel, où les femmes ne sont plus les potentielles victimes du désir masculin et développent leur capacité de consentement. Un processus similaire à ceux ciblés dans les thérapies cognitivocomportementales, de communiquer avec l'autre dans un équilibre relationnel et d'agir en fonction de ses valeurs de vie. L'empouvoirement s'appuie sur la notion d'assertivité sexuelle, ou capacité à initier le comportement sexuel désiré avec un·e partenaire et à l'exprimer de façon positive en fonction de ses valeurs et de ses désirs.

Ainsi les mouvements comme Girl power s'engagent sur les réseaux sociaux pour l'éduction sexuelle des femmes et décomplexent la sémantique sexuelle, avec les mouvements « provulve » ou « proclito ». Un courant féministe contesté, dit pop ou sexe positif, va même jusqu'à considérer la sexualité comme un terrain dans lequel les femmes peuvent avancer dans l'émancipation, en particulier via une nouvelle pornographie. 

Pour Lamb et Peterson (2012), « il n'existe pas de sexualité authentique qui serait libre des contraintes sociales et des influences de la société ». Alors, espère Nathalie Dessaux, « révolutionnons donc ces codes pour qu'ils soient compatibles avec une sexualité épanouie ».

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin: 9743