LA PRISE EN CHARGE de la douleur chronique rebelle est globale et se fonde sur des traitements médicamenteux et non médicamenteux. « Il s’agit d’un véritable projet de soins, avec des objectifs crédibles, ce qui signifie que dans certains cas, il n’y aura pas de gain important en terme de réduction de l’intensité de la douleur, mais une satisfaction du patient, parce qu’il dort mieux, est moins anxieux, retrouve une vie sociale…. », insiste le Pr Alain Serrie. Un bilan précis du type de douleur et de son impact global sur le patient est ainsi essentiel pour adapter la thérapeutique adaptée.
Le mécanisme physiopathologique de la douleur conditionne le traitement et, pendant longtemps, deux grands types de douleurs ont été distingués : les douleurs par excès de nociception et les douleurs neuropathiques, d’origine centrale (telles que rencontrées après un accident vasculaire cérébral par exemple), ou périphérique, comme les douleurs post-zostérienne, post-chirurgicales ou celles liées au diabète. Les nombreuses recherches réalisées ces dernières années ont permis d’aller plus loin dans la compréhension de ces mécanismes physiopathologiques, en mettant en évidence différents phénomènes, qui permettent d’expliquer pourquoi dans certains cas la douleur se chronicise : sensibilisation des nocicepteurs, modifications phénotypiques, sensibilisation centrale, avec notamment une hyperexcitabilité des neurones nociceptifs médullaires impliquée dans la chronicisation de la douleur.
Une approche par mécanismes
« Désormais, plusieurs profils de patients sont différenciés, qui requièrent des démarches thérapeutiques différentes. Il ne s’agit donc plus d’une approche par pathologie, mais d’une approche par mécanisme », expose le Pr Alain Serrie. Ces avancées se sont traduites sur le plan thérapeutique par la mise à disposition de nouveaux produits. Parmi eux, les tissu-gels d’anesthésiques locaux, efficaces en cas de douleurs superficielles.
Le patch à la capsaïcine à 8 %, appliqué sur la zone douloureuse, est d’un recours très intéressant dans les douleurs neuropathiques. La capsaïcine agit en vidangeant les substances qui déclenchent la douleur, ce qui explique le caractère douloureux de son application et donc la nécessité d’utiliser préalablement une crème anesthésiante. L’application doit se faire selon une procédure précisée dans l’autorisation de mise sur le marché, par du personnel formé en hospitalisation de jour. « Tout l’intérêt du patch à la capsaïcine réside dans la durée de l’action antalgique conférée, de l’ordre de 3 mois après une seule application de 30 minutes sur le thorax ou un membre supérieur et de 45 minutes sur un membre inférieur. Il est ainsi possible, chez certains patients, de supprimer les traitements antidépresseurs ou antiépileptiques classiquement prescrits dans les douleurs neuropathiques, efficaces mais source d’effets secondaires. In fine, la qualité de vie des patients est améliorée », expose le Pr Serrie avant de préciser que le recul d’utilisation est aujourd’hui insuffisant pour juger de l’impact de ce nouveau traitement sur le long terme.
Fond douloureux et accès paroxystiques
Dans les douleurs par excès de nociception, en particulier les douleurs cancéreuses, l’identification des accès douloureux paroxystiques (ADP), qui altèrent fortement les résultats du traitement de fond, a permis de grandes avancées thérapeutiques avec la mise à disposition du citrate de fentanyl (cinq spécialités sont commercialisées en France, deux administrées par voie intra-nasale et trois sous forme de comprimé muco-adhésif). Le citrate de fentanyl permet de répondre à l’exigence de rapidité d’action imposée par les ADP, dont la typologie varie chez un même patient. Contrairement aux morphiniques d’action rapide donnés par voie orale, à une posologie interdose correspondant à 6 à 10 % de la posologie du morphinique de fond sur 24 heures, le traitement par le citrate de fentanyl est débuté avec la dose la plus faible possible, puis ajusté indépendamment de la consommation de morphinique sur 24 heures. « Grâce à ce traitement, la qualité de vie des patients peut aujourd’hui être améliorée, mais sa prescription nécessite de la rigueur et le respect des conditions de l’AMM (douleurs cancéreuses avec un traitement morphinique de fond), rappelle le Pr Serrie. Reste à régler le problème des patients hospitalisés qui, contrairement à ceux restant à domicile, n’ont pas le médicament à portée de main et ne peuvent donc le prendre vite lors d’un ADP ».
Il faut également souligner les nets bénéfices apportés par l’utilisation du MEOPA (Mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote) dans la prévention des douleurs nosocomiales, qui permet à la fois de soulager le patient et d’améliorer la qualité des soins.
Autre nouveauté thérapeutique, non encore commercialisé en France : le tapentadol, qui, comme le tramadol est un antalgique d’action centrale, mais de niveau 3. « Bien toléré, il est efficace tant dans les douleurs par excès de nociception que dans les douleurs neuropathiques et se montre ainsi particulièrement intéressant dans les douleurs mixtes », précise le Pr Serrie.
D’après un entretien avec le Pr Alain Serrie, chef du service de médecine de la douleur et de médecine palliative, hôpital Lariboisière, Paris, auteur de « Vaincre la douleur », aux éditions Michel Lafon.
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