Le paysage de la toxicomanie s’est profondément modifié ces dernières décennies. « Dans les années 1970, les produits de substitution étaient peu développés, l'héroïne administrée par voie essentiellement intraveineuse, les opioïdes encore balbutiants, et les produits de synthèse vendus via internet n’existaient pas ! », explique le Pr Philippe Camus (CHU de Dijon), ajoutant que l’usage du cannabis a explosé. « Dans son sillage : les risques de cancer bronchopulmonaire, de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) – même si le lien est moins établi qu'avec le tabac – d’asthme, et de pneumopathies interstitielles parfois fulminantes ».
Risques inhalatoires
L'héroïne est désormais de plus en plus inhalée, et non injectée, provoquant des crises aiguës de bronchospasme. Avec le crack, qui est un mélange bas de gamme de cocaïne, bicarbonate de soude et ammoniaque, porté à incandescence, l'arbre aérien peut être également exposé à des dommages thermiques.
La cocaïne inhalée, ou d’autres produits achetés sur internet alors qu'ils ne sont pas bien étiquetés comme dangereux, comportent aussi un risque inhalatoire de pneumopathies graves, ou d’hémorragies alvéolaires avec syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), de bronchospasme aigu grave, sans que l’étiologie soit immédiatement reconnue, surtout lorsque le malade est sous ventilation.
Accidents domestiques
Lors de la fabrication artisanale de ces drogues, en particulier à la maison avec des solvants d’extraction inflammables (butane liquide) et des récipients inadaptés, il existe des risques d’incendie, traumatisme, blessures, intoxication du laborantin, ou de son entourage familial, par des gaz toxiques (phosphine), ou des métaux (comme les syndromes parkinsoniens du manganèse).
La méthamphétamine peut quant à elle provoquer œdème aigu du poumon, dégâts cérébraux, buccaux (dents noirâtres qui se déchaussent : « the Meth Mouth ») et anomalies comportementales. Les pipes à eau (hookahs) utilisées, alimentées parfois par un charbon incandescent, peuvent entraîner une intoxication au monoxyde de carbone, à laquelle il faut penser aux urgences, même si la première cause reste une chaudière mal entretenue.
Injections thoraciques
Lorsque les veines périphériques sont sclérosées, l'injection de drogues dans les veines thoraciques peut être à l'origine de pneumothorax graves et/ou de problèmes septiques infectieux touchant les valves du cœur, parfois le poumon, ainsi que de botulisme, via les points d’injection des drogues. L’injection de mercure liquide reste quant à elle anecdotique.
Il existe enfin des risques de barotraumatisme (pneumothorax, pneumomédiastin) lorsque le toxicomane fait une manœuvre d’expiration à glotte fermée après inhalation de son produit, dans l'espoir d'en majorer les effets. À plus long terme, cela peut provoquer emphysème bulleux et hypertension artérielle pulmonaire, par divers mécanismes dont l’oblitération, chez les injecteurs de comprimés pilés, la talcose, due aux excipients accompagnant les broyats de comprimés injectés, les maladies auto-immunes à anticorps de type ANCA, avec lésions cutanées ecchymotiques du pavillon de l’oreille.
Tabac
De nombreux consommateurs de drogues sont aussi fumeurs de cigarettes, ce qui nécessite de rechercher les maladies liées à l'exposition au tabac et/ou à la cigarette électronique. Cette dernière peut entraîner des pneumopathies parfois d'allure infectieuse et à répétition, notamment en cas d'ajout de stimulants dans le e-liquide ou d'utilisation compulsive, et des brûlures faciales en cas d’incendie de batteries.
Engager la conversation
Quand le médecin traitant doit-il penser à une possible toxicomanie ? « Devant des crises d'asthme sévères (35 % ont un test positif aux opiacés aux États-Unis), des épisodes de pneumopathie à répétition – qui sont en réalité des petits œdèmes pulmonaires ou des pneumopathies interstitielles ou d’hémorragie alvéolaire. Il ne faut vraiment pas hésiter à engager la conversation et demander à son patient s'il consomme, ou proposer un test urinaire s’il a du mal à se confier », insiste le Pr Camus.
« Chez un toxicomane connu, il est important de lui demander s'il n'a pas parfois des symptômes respiratoires, pour lesquels il n'aurait pas consulté, car ces épisodes peuvent précéder un épisode de détresse respiratoire aiguë, plus grave, souligne-t-il. Bien sûr, en plus, la possibilité d’une infection VIH, VHC doit être vérifiée périodiquement pour certains patients ».
Au total, « il faut bien avoir à l'esprit, devant tout symptôme pulmonaire bizarre et/ou inexpliqué, l'environnement aérien (pneumopathies d’hypersensibilité) compte, certes, mais aussi toxique (cigarettes, drogues illicites) et médicamenteux (lire encadré) », prévient le Pr Camus. Le généraliste est souvent en première ligne dans ce dernier cas.
Entretien avec le Pr Philippe Camus, service de pneumologie et réanimation respiratoire (CHU Dijon)
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