Double anti-agrégation plaquettaire prolongée

Des résultats mitigés

Publié le 11/12/2014
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Crédit photo : PHANIE

En septembre 2006, une controverse avait marqué le congrès de la Société européenne de cardiologie : plusieurs données concordantes suggéraient que les stents actifs pouvaient être à l’origine de thromboses de stents, tardives et potentiellement graves. Dès lors, il a été proposé de prolonger le traitement par une double anti-agrégation plaquettaire (aspirine associé au clopidogrel) jusqu’à 12 mois voire plus après l’angioplastie. C’est ainsi qu’aux États-Unis, l’habitude a été prise de prolonger bien au-delà de 12 mois la double anti-agrégation plaquettaire après pose d’un stent actif coronaire. Ce choix était aussi justifié par l’objectif de diminuer les événements cardiovasculaires chez les patients ayant une maladie coronaire avérée. Cependant, aucune étude n’a validé cette pratique qui peut être potentiellement risquée avec un risque hémorragique majoré. Aussi la Food and Drug Administration (FDA) a été le promoteur principal d’un essai thérapeutique contrôlé évaluant cette pratique, l’étude Dual Antiplatelet Therapy (DAPT) à laquelle ont collaboré une agence officielle, un centre académique (Harvard), deux laboratoires pharmaceutiques et quatre laboratoires développant des stents.

L’étude DAPT visait à évaluer les effets, par rapport à l’aspirine seule, d’un traitement par deux antiagrégants plaquettaires, prolongé au-delà de 12 mois, chez des patients ayant eu une angioplastie coronaire avec un stent actif. Elle a été conduite en double aveugle contre placebo. Pour être inclus, les patients devaient avoir eu une angioplastie coronaire avec un stent actif (de première ou deuxième génération) et n’avoir pas eu d’événement ischémique ou hémorragique pendant les 12 mois suivants, alors qu’ils recevaient une double anti-agrégation plaquettaire par de l’aspirine et soit du clopidogrel, soit du prasugrel. Au terme de ces 12 premiers mois, tous les patients devaient recevoir de l’aspirine et ils étaient randomisés pour recevoir en aveugle, soit du placebo, soit le clopidogrel soit le prasugrel.

L’évaluation a porté sur deux critères principaux d’efficacité : les thromboses de stents, probables ou affirmées selon la définition ARC, et les événements cardiovasculaires (CV) majeurs : décès CV, infarctus du myocarde (IDM) et accidents vasculaires cérébraux (AVC), et un critère principal de sécurité : les hémorragies sévères et modérées selon la définition GUSTO. L’évaluation devait avoir lieu 30 mois après la randomisation et l’hypothèse testée était celle d’une supériorité sur les critères d’efficacité du traitement double prolongé par rapport au maintien de l’aspirine seule au-delà de 12 mois.

Sur les 22 866 patients ayant eu une angioplastie 12 mois auparavant, 9 961 patients ont été randomisés, âgés en moyenne de 62 ans ; 26 % avaient eu une angioplastie pour un syndrome coronaire aigu.

Au terme des 30 mois de suivi, un bénéfice de la prolongation des deux anti-agrégants plaquettaires par rapport à l’aspirine seule a été mis en évidence avec une réduction significative des thromboses de stents (0,4 versus 1,4 % ; HR : 0,29 ; IC 95 % : 0,17-0,48 ; p ‹ 0,001) et des événements cardiovasculaires majeurs (4,3 versus 5,9 % ; HR : 0,71 ; IC 95 % : 0,59-0,85 ; p ‹ 0,001).

Mais, en parallèle, il a été enregistré une augmentation significative des hémorragies sévères et modérées (2,5 % versus 1,6 % ; p = 0,001), une tendance à l’augmentation de la mortalité totale (HR : 1,36 ; IC 95 % : 1,00-1,85 ; p = 0,052) avec une augmentation significative de la mortalité non cardiovasculaire (1,0 % versus 0,5 % ; HR : 2,23 ; IC 95 % : 1,32-3,72 ; p = 0,002).

Un travail complémentaire

Chez des coronariens stables ou devenus stables et ayant eu une angioplastie coronaire avec un stent actif, ajouter un antiagrégant plaquettaire à de l’aspirine permet donc de réduire le risque de thrombose tardive de stent et celui d’événements cardiovasculaires majeurs. Mais, cette stratégie thérapeutique est aussi à l’origine d’une augmentation du risque d’hémorragies majeures et peut-être de la mortalité totale. Le paradoxe de cette étude est d’avoir mis en évidence une augmentation du risque de mortalité non cardiovasculaire.

Comme rien ne semblait expliquer cette augmentation des décès non cardiovasculaires, une méta-analyse a été effectuée et présentée concomitamment aux résultats de l’étude DAPT.

Cette méta-analyse a évalué les effets d’une anti-agrégation double contre une anti-agrégation simple sur la mortalité totale, la mortalité cardiovasculaire et la mortalité non cardiovasculaire. Elle a inclus les données de 14 essais ayant inclus 70 000 patients.

Ce travail a montré qu’entre un traitement par deux antiagrégants plaquettaires et un traitement par un seul antiagrégant plaquettaire, il n’y avait pas de différence significative en termes de mortalité totale (3 985 décès ; HR : 1,05 ; IC 95 % : 0,96-1,19 ; p = 0,33), de mortalité cardiovasculaire (2 760 décès cardiovasculaires ; HR : 1,01 ; IC 95 % : 0,93-1,12 ; p = 0,81) et de mortalité non cardiovasculaire (1 116 décès non cardiovasculaires ; HR : 1,04 ; IC 95 % : 0,90-1,26 ; p = 0,66).

Deux études importantes en cour, PEGASUS avec 21 000 patients et GLOBAL LEADERS avec 16 000 patients, évaluent elles aussi l’effet d’un traitement prolongé par deux antiagrégants plaquettaires comparativement à un seul, et devraient, en 2015, fournir une plus ample appréciation du bénéfice clinique net de la stratégie associant deux anti-agrégants plaquettaires.

Mauri L et al. NEJM 2014 DOID : 10.1056/NEJMoa1409312

Elmariah S et al. Lancet 2014 DOI : 10.1016. S0140-6736(14)62052-3


Source : Le Quotidien du Médecin: 9373