L'épopée fulgurante de la robotique chirurgicale

Quand les robots opéreront seuls

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Publié le 09/10/2017
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ROBOTS

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

L’épopée de la robotique chirurgicale est fulgurante. 1985 : des bistouris sont adaptés à un simple robot industriel sécurisé : le Puma 260 est utilisé en neurochirurgie sur une vingtaine de patients à l’hôpital Long Beach (Californie). L’année suivante, le robot Scara, toujours en Californie, est utilisé pour des poses de prothèses de hanche. 1989 : des interventions neurochirurgicales sont effectuées par Speedy, robot adapté par la société française AID. 1990 : Puma 560 réalise à l’Imperial College (Londres) une ablation de la prostate.

Mais c’est à partir des années 1990 que les scialytiques éclairent les premiers prototypes conçus spécialement pour la chirurgie, équipés de logiciels, de bras télémanipulateurs et couplés à des systèmes d’imagerie intelligente et à des marqueurs fluorescents. 1999 : le pionnier Intuitive Surgical – qui reste le leader du marché – commercialise le robot Da Vinci, qui n’a cessé depuis d’améliorer ses performances.

En 2010, le robot Biopsy de Fastcompany localise une lésion, effectue de multiples prélèvements grâce à des ultrasons et des imageries 3D. En 2015, près de 4 000 robots réalisent 670 000 opérations (oncologie, gynécologie, gastro-entérologie, chirurgie bariatrique, hystérectomies, orthopédie) et le nombre de ces interventions a bondi de 16 % l’an dernier malgré le coût élevé (1,5 million de dollars pour un modèle). En 2016, le robot Star (smart tissue autonomous robot) réussit une première sur des tissus mous, une entéro-anastomose sur plusieurs porcs, en suturant des segments d’intestins. Star surpasse la dextérité et la précision des chirurgiens en en réduisant les complications et en améliorant la sûreté des interventions, assure le Pr Peter Kim (Université George Wahington). En 2016 encore, un robot de l’hôpital John Radcliffe (Royaume-Uni) parvient à retirer d’une rétine une membrane d’un centième de millimètre d’épaisseur, avec une précision impensable à vue humaine.

Depuis quelques années, des startups mettent au point des robots de moins en moins onéreux et tentent de conquérir la planète chirurgicale : la française MedTech, spécialisée dans la chirurgie de la colonne vertébrale et du cerveau avec le robot Rosa, TransEnterix, qui commercialise son système robotisé ALF-X en Europe, Verb Surgical annonce le lancement de son robot pour 2018 avec un investissement record de 250 millions de dollars. Les géants ne sont pas en reste. GSK et Google, avec leur filiale commune Verily Life Sciences, mettent au point un robot chirurgical peu invasif qui permettra d’implanter des dispositifs de traitements des désordres métaboliques et endocrinaux.

Le robot ne tuera pas le chirurgien.

Selon Reuters, le marché de la robotique chirurgicale va doubler dans les cinq ans. Une révolution ? « Non, répond le Pr Guy Vallancien (Académies de médecine et de chirurgie), mais une mutation irréversible qui va faire disparaître l’anesthésiste (remplacé par un robot qui distribuera les doses exactes nécessaires au cours de l’intervention), le biologiste, remplacé par des ordinateurs qui traiteront des données entièrement informatisées, les anatomo-pathologistes, doublés par des machines qui screeneront tous les tissus… Et le chirurgien aussi est en train d’être dépassé par les robots. »

Aujourd’hui, ces robots agissent au bloc sous la surveillance des hommes, mais vont-ils conquérir demain leur autonomie ? « Pour toutes les interventions programmées ayant un caractère répétitif, incontestablement, oui, estime le Pr Vallancien, leurs performances sont incomparables par rapport à celles des pauvres êtres humains patauds et fragiles que nous sommes. En revanche, pour les opérations réalisées dans l’urgence, le chirurgien gardera de très loin sa supériorité sur la machine, qui n’atteindra pas sa réactivité devant l’inattendu. Le robot ne tuera donc pas le chirurgien, mais il va réduire sensiblement son champ d’action et parcelliser sa compétence. »

Face à ces perspectives, l’auteur de Homo artificialis, plaidoyer pour un humanisme numérique (Michalon) juge urgente la tenue d’une conference of parties pour statuer sur la régulation de l’intervention de la machine. Il souhaite que la France en prenne l’initiative et il y travaille.

Christian Delahaye

Source : Le Quotidien du médecin: 9608