Au-delà de ses effets arythmogènes, l’hypoglycémie peut induire différentes modifications physiologiques (élévation de la pression artérielle, stress oxydatif, dysfonction endothéliale…) pouvant contribuer à l’aggravation de l’athérosclérose.
Mais le surrisque d'événements cardiovasculaires et de décès et la survenue plus fréquente d'hypoglycémies sévères chez un patient diabétique pourraient être dus à une plus grande vulnérabilité de ce dernier, liées à certaines comorbidités. C'est la thèse que soutient le Pr Patrice Darmon, endocrinologue au CHU La Conception à Marseille : « Dans l'étude ADVANCE (2), par exemple, les hypoglycémies sévères sont certes associées à une surmortalité et à une augmentation des événements cardiovasculaires. Mais elles sont également liées à d'autres paramètres : maladies respiratoires, digestives, cutanées, cancers… Il est difficile de faire le lien entre l'hypoglycémie et ces maladies, sauf à penser qu'il s'agit de patients plus vulnérables que les autres, présentant des comorbidités pouvant expliquer cette association ».
Une étude observationnelle, menée à Taïwan (3), a comparé des diabétiques ayant des antécédents d'hypoglycémie sévère à d'autres sans antécédents d'hypoglycémies sévères (tous étant appariés en termes d'âge, de sexe et d'ancienneté du diabète). Comme dans la plupart des études d'observation, le surrisque de maladies coronariennes, d’AVC et de décès est observé chez les patients ayant présenté des hypoglycémies modérées ou sévères. « Mais ces patients ne se ressemblent pas tout à fait. En effet, les patients ayant présenté des hypoglycémies sévères sont ceux qui souffrent également plus souvent de cirrhose, d’insuffisance rénale, de cancer… Cette étude montre bien que les patients qui font plus d'hypoglycémies sévères et qui ont un taux de décès plus important que les autres sont aussi les plus fragiles », précise le Pr Darmon.
Un marqueur d’un état général précaire
Cette observation est également frappante dans d'autres travaux. Exemple : une étude rétrospective (4) menée auprès de 32 000 diabétiques ou non admis en hospitalisation dans une unité générale d'un centre académique a recensé tous les patients ayant fait, au moins, une hypoglycémie ≤ 70 mg/dl (soit 10 % d'entre eux). Dans cette étude, seules les hypoglycémies spontanées semblent être en lien avec les événements cardiovasculaires. Les hypoglycémies prévisibles – car liées à la prise d'insuline ou sulfamide – n'engendrent pas de surrisque cardiovasculaire. « Comme dans ACCORD ou dans l’étude ORIGIN (5) comparant des diabétiques ayant un traitement standard à ceux ayant un traitement intensif, tout se passe comme si les hypoglycémies prévisibles sous traitement intensifié sont, au final, moins délétères que des hypoglycémies survenant de façon inopinée chez des patients traités de façon standard, que l’on peut imaginer comme plus fragiles (présentant des pathologies sous-jacentes connues ou méconnues). Par ailleurs, le fait de multiplier les épisodes d'hypoglycémies modérées dans le groupe traité de façon intensive pourrait conduire à une sorte de conditionnement aux hypoglycémies qui rendrait les hypoglycémies sévères moins dangereuses. Cette hypothèse reste, toutefois, à démontrer », note le Pr Darmon.
Une autre étude (6) s'intéressant à la survenue d'hypoglycémies après un infarctus montre également que ce sont les patients (non traités par insuline) ayant fait une hypoglycémie spontanée qui présentent un risque de mortalité accru et non les patients ayant fait une hypoglycémie sous insuline. Au final, le lien entre hypoglycémies sévères et mortalité est surtout retrouvé lorsque l’insuline n’est pas utilisée, suggérant que les hypoglycémies chez ces patients sont surtout le marqueur d’un état général précaire. « La survenue d'une hypoglycémie sévère prédit, certes, l'excès de risque de mortalité et d'événements cardiovasculaires dans la plupart des études. Néanmoins, à mon sens, il n'existe pas de preuve formelle d'un lien de causalité entre hypoglycémies et événements cardiovasculaires. Ce lien s'explique davantage par une plus grande vulnérabilité sous-jacente des patients », conclut le Pr Darmon.
(1) Gerstein HC et al. N. Engl. J. Med. 2008;358:2545
(2) Patel A et al. N Engl J Med 2008;358:2560
(3) Hsu PF et al. Diabetes Care 2013;36:894-900
(4) Boucai L et al. Am J Med 2011;124:1028-35
(5) ORIGIN Trial Investigators. Eur Heart J 2013;34:3137-44
(6) Kosiborod M et al. JAMA 2009;301:1556-64
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