La piste des méthyltransférases

Un mécanisme de la mémoire glycémique

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Publié le 07/03/2016
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Les données de deux études — le DCCT (1) et l’UKPDS (2) — menées auprès de patients diabétiques ont mis en évidence un effet d’héritage ou d’hystérésis : le risque de complications vasculaires à un instant t est dépendant des caractéristiques du patient à cet instant (son HbA1c actuelle, sa pression artérielle…). Mais aussi, de ses caractéristiques antérieures, du « chemin qu’il a emprunté pour arriver à l’état actuel », par exemple, son HbA1c moyenne dans la décennie qui précédait.
Aujourd'hui, les mécanismes de cette « mémoire métabolique » ne sont pas bien connus, mais plusieurs pistes sont, actuellement, étudiées. « Les modifications moléculaires chimiques du glucose sur les composants de la paroi vasculaire et notamment, les produits avancés de la glycation sont, notamment, en cause. De la même façon, le stress oxydant qui semble jouer un rôle important dans les complications du diabète, pourrait aussi jouer un rôle dans ces complications, non seulement en générant une dysfonction endothéliale à l'instant t, mais également, en modifiant durablement les constituants cellulaires : par exemple, en oxydant certaines membranes, certains composés des membranes cellulaires, certaines enzymes de la cellule », souligne le Pr Ronan Roussel, endocrinologue diabétologue à l'hôpital Bichat, à Paris.
Mais la piste la plus documentée, actuellement, concernant la mémoire glycémique est celle des modifications épigénétiques qui sont persistantes dans le temps. Les modifications épigénétiques de l'ADN ne touchent pas la séquence des bases nucléotidiques mais modifient la façon dont cet ADN peut être accessible pour la production des protéines. « Les éléments régulateurs qui semblent les plus pertinents sont les histones qui forment le cœur des nucléosomes (autour duquel l'ADN et sa séquence d'acide nucléotidique est enroulé). Les histones vont révéler (ou pas) certaines zones de l'ADN et cette révélation va dépendre de différentes modifications chimiques, en particulier, de différences de méthylation de l'ADN ou des histones qui le portent », indique le Pr Roussel.

Épigénétique


L'une des pistes les plus tangibles et soutenue expérimentalement dans une étude (3) est les modifications de certaines méthyltransférases. Ces protéines sont, en effet, capables de modifier la méthylation de la queue de certaines histones qui vont révéler certains promoteurs particuliers de facteurs de transcription (tels que NF-kappaB, un facteur de transcription impliqué dans les mécanismes d'inflammation et, in fine, de fibrose au niveau de la paroi vasculaire ou au niveau rénal). « Dans cette étude, différentes cellules endothéliales d'un modèle animal ont été exposées à des faibles ou fortes concentrations de glucose et l'expression de NF-kappaB a été suivie. Après les quelques heures d'hyperglycémie, ces cellules ont été ramenées à des situations de glycémie faible. Malgré le retour en concentration de glucose normal dans ce milieu de culture, l'expression du facteur de transcription pro-inflamatoire NF-kappaB est déclenchée et persiste malgré l'extinction de son phénomène déclencheur (la concentration de glucose élevée). Il a été possible de montrer que cette augmentation de l'expression du facteur de transcription, déclenché par l'hyper-concentration en glucose, était le fait d'une activité augmentée d'une histone méthyltransférase qui, précisément, allait méthyler, plus ou moins, la zone promotrice de ce facteur de transcription. Cette démonstration donne, ainsi, une substance moléculaire objective à cette notion de mémoire métabolique et de persistance de l'effet délétère de la concentration élevée de glucose », affirme le Pr Roussel.

Une confirmation chez l’humain


Cette piste épigénétique a également une pertinence chez l'humain. En collaboration avec l'équipe du Pr Roussel, le Pr Jean-François Gautier (chef du service de diabéto-endocrinologie de l'hôpital Saint-Louis) a étudié (4) l'ADN et le degré de méthylation (et donc de modifications épigénétiques) de l'ADN d'enfants nés de grossesses au cours desquelles ils étaient ou non exposés à l'hyperglycémie in utero. Ceux exposés étaient les enfants de mères ayant un diabète de type 1 (DT1) pendant la grossesse et ceux qui n'étaient pas exposés étaient les enfants de pères ayant un DT1. « Cette exposition différentielle à l'hyperglycémie in utero a une traduction chez ces enfants non diabétiques qui ont été étudiés vers l'âge de 20 ans sur le degré de méthylation du gène codant la DNA méthyl transferase 1 (une enzyme clé dans le maintien des profils de méthylation au cours des divisions cellulaires). Les enfants de mères DT1 (exposés à plus de glucose in utero) présentaient en moyenne une hypo-méthylation. Aujourd'hui, il y a donc une réalité épidemiologique à cette mémoire glycémique, mais aussi, une piste thérapeutique qui serait celle de moduler, de façon ciblée, la méthylation de promoteurs de gènes impliqués dans la physiopathologie vasculaire pour organiser une sorte de remise à zéro de l'exposition à l'hyperglycémie passée et à ses conséquences. Des inhibiteurs de certaines méthyltransférases sont déjà en développement contre certaines leucémies où, précisément, des modifications épigénétiques, similaires (bien que sur d'autres gènes) ont été mises en évidence », conclut le Pr Roussel.

 

(1) The Diabetes Control and Complications Trial
(2) United Kingdom Prospective Diabetes Study
(3)
(4) Gautier JF et al. Diabetes Metab 2012;38.A14

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du médecin: 9477