La drépanocytose affecte les chaînes β de l’hémoglobine (Hb), remplaçant ainsi l’HbA par l’HbS (S pour sickle = faucille). Cette Hb anormale peut dans certaines conditions se polymériser, provoquant la falciformation des globules rouges avec pour conséquence les douleurs et l’ischémie. Les facteurs déclenchants sont essentiellement l’hypoxie, la déshydratation, le refroidissement et le stress. En pratique, la crise peut donc être provoquée par le jeûne, les vomissements, la diarrhée, la fièvre et les changements de température.
Dans certaines régions d’Afrique, une personne sur quatre est porteuse du gène de l’hémoglobine S, et une sur huit aux Antilles. Les régions impaludées se superposent à celles où le gène de l’HbS est fréquent, vraisemblablement parce que les porteurs de ce gène ont une résistance augmentée aux formes mortelles de paludisme.
La transmission de la drépanocytose (mutation située sur le chromosome 11) se fait sur le mode autosomique récessif. A priori, seuls les homozygotes développent la maladie. Cependant, il existe aussi des individus « doubles hétérozygotes », possédant un allèle HbS et un allèle pour une autre hémoglobinopathie (comme l'HbSC ou la βthalassémie). Ils peuvent ne pas avoir d’anémie mais développer plutôt des complications d’hyperviscosité.
Des syndromes vaso-occlusifs
Les manifestations les plus bruyantes de la maladie sont les syndromes vaso-occlusifs, avec par exemple un accident vasculaire cérébral (AVC), un syndrome thoracique aigu (STA), un priapisme… Elles s’associent aussi à des infections fréquentes et des complications chroniques au niveau de différents organes. « Si dans certains pays africains la mortalité des enfants de moins de cinq ans peut atteindre 90 %, l’espérance de vie augmente dans les pays occidentaux, mais la qualité de vie est médiocre en raison des complications », rappelle la Dr Anoosha Habibi (CHU Henri Mondor, Créteil).
La crise vaso-occlusive (CVO) se manifeste par des douleurs osseuses ou articulaires très intenses, accompagnées d’un syndrome inflammatoire mais sans hémolyse. Environ 20 % de ces crises évoluent vers un STA, avec douleur thoracique, dyspnée, fièvre, infiltrat pulmonaire à l’imagerie. Ces STA - où s’intriquent infection, hypoventilation, embolie graisseuse et thrombose pulmonaire - constituent la première cause de mortalité chez un adulte jeune. Un score évaluant la probabilité qu’une CVO évolue vers un STA est en cours de validation. Il se fonde sur la douleur au niveau du rachis lombaire, le nombre de globules blancs et de réticulocytes, ainsi que l’Hb.
Un traitement de fond en prévention des crises
À côté du traitement de la douleur dans les complications aiguës, les patients reçoivent de l’acide folique pour favoriser la régénérescence de la moelle, de l’Oracilline (jusqu’à cinq à dix ans) pour limiter les infections bactériennes graves, une vaccination large et une excellente hydratation. Le traitement de fond repose sur l’hydroxyurée (HU), le crizanlizumab et les échanges transfusionnels.
L’HU a pour objectif de réactiver l’Hb fœtale qui disparait normalement vers six mois. Elle diminue la falciformation et exerce un effet antiagrégant, ce qui se traduit par une diminution des CVO de 50 à 60 % et de la mortalité. Elle est indiquée dans les drépanocytoses avec CVO sévères, STA, risque d’AVC… Elle est parfois prescrite en cas d’anémie profonde (Hb < 7 g/dl), et commencée de plus en plus souvent chez l’enfant entre un et deux ans. Le crizanlizumab est un anticorps monoclonal anti-P-sélectine qui limite l’adhérence des globules rouges et blancs, et diminue les CVO de 50 % pour les patients sous HU et de 32 % chez ceux non traités par HU. « Ces traitements peuvent entraîner des effets indésirables, parfois graves, mais à mettre en balance avec l’importante mortalité », insiste le Pr Jean-Benoît Arlet (hôpital européen Georges-Pompidou, Paris).
D’autres molécules réoxygénent l’Hb afin d’éviter la falciformation et l’hémolyse. Le voxelotor permet de gagner au moins un point d’Hb mais ne se montre pas significatif sur le nombre de crises. Dans l’attente d’une nouvelle étude, il peut être prescrit, sous autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative, chez les patients très anémiques.
Greffe de moelle et thérapie génique
La greffe de moelle est le seul traitement curatif, mais elle nécessite une chimiothérapie préalable (pas toujours bien tolérée) chez l’adulte et un donneur 100 % compatible. En l’absence de donneur, on a développé des greffes géno-identiques précédées d’un traitement myélosuppresseur, puis des greffes géno-identiques à conditionnement atténué (irradiation et anticorps monoclonal). Ces dernières sont mieux tolérées et permettent des guérisons dans 60 à 70 % des cas.
Deux types de thérapie génique sont à l’étude, avec pour l’instant un effet plus suspensif que curatif. La première est la technologie CRISPR-Cas9, qui réactive l’expression du gène de la globine-γ silencieux chez les adultes, permettant de compenser l’activité défectueuse de la globine-β. La seconde est la thérapie par addition génique, qui introduit un gène sain de la β-globine dans les cellules souches du patient. Si elle ne guérit pas, cette dernière permet de réduire notablement les CVO.
Article précédent
Au cœur du lupus
Article suivant
Reconnaître les neuropathies des petites fibres
Pathologies du complément
Les SMS du congrès de la SNFMI
Comment repérer un syndrome démentiel ?
Identifier un phénomène de Raynaud
Myocardite : un diagnostic complexe
Distinguer les neutropénies chroniques sévères
Au cœur du lupus
Drépanocytose : les espoirs thérapeutiques d’une maladie délaissée
Reconnaître les neuropathies des petites fibres
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?