Forum des rumeurs
Voilà une parole souvent proférée pour couper la parole, la parole sur le sexe et la sexualité. C’est « the » réplique, cinglante, qui recadre les Tartarin de la performance, dénonce leur mythomanie et trahit, en fait, leur imposture. C’est la réplique le plus souvent sans réplique, elle clôt le débat sur les ébats. Son fondement repose sur l’incompatibilité et l’antinomie supposées entre deux langages : celui du corps et du sexe, celui du logos et de l’intelligence. Comme si l’un disqualifiait l’autre.
Le sexe ne se paie pas de mots. Les mots occultent la réalité, ou plutôt l’absence de réalité du sexe. Bref, plus on en parle, moins on le fait, c’est une formule tarte à la crème, peut-être, mais elle entartre sévèrement les prolixes du coït, tout-à-coup interrompus dans leur élan bavard. Silence, on orgasme ! D’ailleurs, André Gide prévenait déjà, et pas seulement sur le terrain sexuel, « les plus prolixes sont ceux qui ont le moins à dire ».
Zapping épidémiologique
On ne trouvera naturellement pas de publication pour étayer ou démentir. Mais deux méthodes cliniques s’inscrivent en faux et montrent que la parole va avec la sexualité : la psychanalyse, qui atteste que nommer, parler, verbaliser, c’est essentiel pour évoquer son histoire sexuelle et sa manière de la faire. Parler libère et libère le faire. C’est aussi l’axiome des groupes dits de paroles, justement : l’expression verbale de la vie intime et sexuelle qui se lâche lève les inhibitions et favorise l’action. Alors, plus on en parle, plus on augmente sa capacité à le faire.
Zoom des experts
– Pour : « C’est flagrant, confirme le Dr Nicole Batlaj, psychiatre et psychanalyste, et c’est un dérapage survenu après la supposée libération sexuelle des années 70 : tout le monde s’est mis à parler de sexe et de sexualité justement parce qu’on ne le fait pas, ou pas assez qu’on le voudrait. Parmi mes patients qui sont en couple, beaucoup n’ont pas d’activité sexuelle, ils s’adonnent à une logorrhée sexuelle qui est une forme d’excitation. Et ils consomment des films X et de la pornographie. Sur Internet, ils échangent des paroles le plus souvent sans le faire. Et quand ils le font, c’est la déception à peu près à tous les coups. »
– « Sauf à être un artiste, la vie érotique ne se raconte pas, confirme le Dr Jacques Waynberg, fondateur de la Société française de sexologie clinique ; elle participe au bonheur et on sait que les grands bonheurs sont incommunicables, de ce point de vue les amoureux sont seuls au monde et ils ne se livrent pas à des discours. Il en va de même pour toutes les émotions paroxystiques, belles ou abominables : voyez les rescapés des camps de la mort, ils n’évoquent pas leurs souvenirs dans la sphère familiale. C’est que bonheur et malheur sont intraduisibles en mots. Alors, comme les langues se sont déliées ces dernières décennies avec la banalisation des tabous, ceux qui en parlent, en effet, ce sont ceux qui le font le moins. »
– Contre : « Tout dépend de ce que vous appelez parler, observe le Dr Bernard Geberowicz, psychiatre ; si c’est se parler dans le couple, alors la parole va amener le désir, avec d’autres facteurs, elle permettra son émergence, elle contribuera à la séduction érotique et aidera au passage à l’acte sexuel. C’est dans le silence, quand on ne se parle pas, que les malentendus vont se propager. Donc, plus on en parle, plus on s’écoute, plus on le fait. »
– Mitigé : « Dans le couple, note le Dr Serge Héfez, psychiatre, l’homme attend l’acte sexuel pour se réconcilier, alors que la femme, à l’inverse, attend la réconciliation pour passer à l’acte. Chacun attendant l’autre, si vous n’avez pas la parole, vous ne sortez pas de ce cercle vicieux. Donc, en ce sens, plus on en parle, plus on a de chance de le faire. A contrario, moins on en parle, moins on le fait. »
« Mais en même temps, si dans un couple on se met à en parler, c’est qu’il y a un problème, puisque quand il n’y a pas de problème, il n’y a pas lieu de parler. Or, si vous commencez à vous lâcher sur ce qui va mal, plus vous allez parler, plus les choses vont se compliquer et moins vous allez le faire. Et là, l’adage aura des chances de se vérifier : plus vous en parlerez entre vous, moins vous arriverez à le faire. »
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