Brevet pour les cellules souches

Où commence l’embryon ?

Publié le 15/12/2014
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LE COMMUNIQUÉ de la Cour européenne de justice est précis : « Doit être exclu de la brevetabilité un procédé qui, en utilisant le prélèvement de cellules souches obtenues à partir d’un embryon humain au stade du blastocyste, entraîne la destruction de l’embryon. » La Cour devait se prononcer, à la demande de la Cour fédérale de justice allemande, sur la brevetabilité d’un procédé utilisant des cellules souches embryonnaires pour le traitement des maladies neurodégénératives, notamment de la maladie de Parkinson.

Le détenteur du brevet déposé en 1997, le Pr Oliver Brüstle, a fait appel auprès de la Cour fédérale allemande, après l’annulation prononcée par le tribunal fédéral allemand des brevets après une intervention de Greenpeace. La nullité du brevet était fondée sur le fait qu’il concernait un procédé permettant d’obtenir des cellules précurseurs à partir de cellules souches d’embryons humains.

Question sur l’embryon.

Pour rendre son jugement, la Cour de justice allemande a décidé d’interroger la Cour européenne, considérant que l’appréciation du caractère brevetable ou non d’un procédé relevait de cette dernière et non des États eux-mêmes et que l’interprétation de la notion d’« embryon humain », non définie par la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, « ne saurait être qu’européenne et unitaire ».

Les questions de la Cour allemande étaient précises : Que convient-il d’entendre par « embryons humains » au sens de l’article 6 de la directive ? Cette notion recouvre-t-elle tous les stades de développement de la vie humaine à partir de la fécondation de l’ovule ou d’autres conditions doivent-elles être satisfaites, par exemple un stade de développement déterminé doit-il être atteint ? Que convient-il d’entendre par « utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales » ? Cette notion englobe-t-elle également une utilisation à des fins de recherche scientifique ?

La Cour européenne souligne que, en la matière, « elle n’est pas appelée à aborder des questions de nature médicale ou éthique, mais qu’elle doit se limiter à une interprétation juridique des dispositions pertinentes de la directive ». Elle reconnaît toutefois que la définition d’embryon humain est « un sujet de société très sensible dans de nombreux États membres. » Et,dans son arrêt, elle confirme que la signification à retenir de la notion « d’embryons humains », doit être considérée comme « une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière ».

Ordre public et bonnes mœurs.

Rappelant le contexte de la directive 98/44/CE, la Cour indique qu’elle avait pour objectif d’« exclure toute possibilité de brevetabilité, dès lors que le respect dû à la dignité humaine pourrait en être affecté ». La directive interdit ainsi que le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, puisse constituer une invention brevetable. « Une sécurité additionnelle est apportée par l’article 6 de la directive, qui cite comme contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, et exclus à ce titre de la brevetabilité, les procédés de clonage des êtres humains, les procédés de modification de l’identité génétique germinale de l’être humain et les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales », note la Cour. Cette liste non exhaustive englobe « tous les procédés dont l’application porte atteinte à la dignité humaine ».

En conséquence, la Cour considère que la notion d’« embryon humain » doit être comprise dans un sens large : « Tout ovule humain doit, dès le stade de sa fécondation, être considéré comme un embryon humain dès lors que cette fécondation est de nature à déclencher le processus de développement d’un être humain ». L’ovule humain non fécondé, dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté, et l’ovule humain non fécondé induit à se diviser et à se développer par voie de parthénogenèse doivent également être qualifiés d’« embryon humain ». « Même si ces organismes n’ont pas fait l’objet, à proprement parler, d’une fécondation, ils sont par l’effet de la technique utilisée pour les obtenir, de nature à déclencher le processus de développement d’un être humain comme l’embryon créé par fécondation d’un ovule », explique la Cour.

Des cellules précurseurs.

S’agissant des cellules souches obtenues à partir d’un embryon humain au stade du blastocyste, la Cour ne se prononce pas explicitement, considérant qu’il appartient aux juges nationaux de déterminer, à la lumière des développements de la science, si elles sont de nature à déclencher le processus de développement d’un être humain ce qui en ferait un « embryon humain ». En revanche, la Cour argumente sur la brevetabilité d’une invention portant sur la production de cellules précurseurs neurales. Elle fait remarquer que cette invention suppose le prélèvement de cellules souches obtenues à partir d’un embryon humain au stade du blastocyste et que ce prélèvement entraîne la destruction de cet embryon, ce qui constitue une atteinte à sa dignité et exclut la brevetabilité. « Le fait que cette destruction intervienne, le cas échéant, à un stade largement antérieur à la mise en œuvre de l’invention, comme dans le cas de la production de cellules souches embryonnaires à partir d’une lignée de cellules souches dont la constitution, seule, a impliqué la destruction d’embryons humains, est, à cet égard, indifférent », souligne la Cour. Ne pas exclure de la brevetabilité une telle invention revendiquée « aurait pour conséquence de permettre au demandeur d’un brevet d’éluder l’interdiction de brevetabilité par une rédaction habile de la revendication », ajoute-t-elle, qui éviterait de mentionner par exemple l’utilisation d’embryons humains.

À cet égard, la Cour note que dans l’exposé des motifs, la directive 98/44/CE vise aussi à encourager les investissements dans le domaine de la biotechnologie mais que l’exploitation de la matière biologique d’origine humaine doit s’inscrire dans le respect des droits fondamentaux.

Concernant l’utilisation à des fins de recherche scientifique, la Cour observe que l’octroi d’un brevet à une invention implique son exploitation industrielle et commerciale, le détenteur du brevet pouvant interdire à d’autres une telle exploitation. « L’utilisation d’embryons humains à des fins de recherche qui constituerait l’objet de la demande de brevet ne peut être séparée du brevet lui-même et des droits qui y sont attachés », poursuit-t-elle. L’utilisation des embryons « à des fins de recherche scientifique n’est pas brevetable », conclut la Cour. En revanche, « l’utilisation d’embryons humains à des fins thérapeutiques ou de diagnostic, applicable et utile à ceux-ci peut faire l’objet d’un brevet » et d’une exploitation industrielle ou commerciale. La correction d’une malformation pour améliorer les chances de vie de l’embryon est citée en exemple.

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9029