CE FUT LA SÉRIE de l’été puis le programme phare de la rentrée... Pendant des mois, le feuilleton des dépassements d’honoraires a mobilisé les médecins libéraux, l’assurance-maladie, les complémentaires santé mais aussi les medias, le gouvernement et les patients.
Parmi les 60 engagements de François Hollande, la promesse n°20 consistait à sécuriser l’accès aux soins « en encadrant les dépassements d’honoraires ». Son accession à l’Élysée donne le coup d’envoi de ce chantier délicat. Aux manettes, Marisol Touraine fixe le cap, dès le conseil des ministres du 11 juillet. En écho aux discours de campagne, elle ambitionne de mettre un terme aux dépassements dits
« abusifs » et, plus largement, d’améliorer l’accès aux soins en élargissant l’offre à tarifs opposables ou à dépassements limités. La méthode est fixée. Il y aura, à partir du mois de juillet, une négociation tripartite (CNAM, médecins, complémentaires) mais le calendrier sera très serré. « En l’absence de résultats à l’automne, le gouvernement prendra ses responsabilités », donc légiférera pour encadrer d’autorité les dépassements, prévient la ministre.
La fin du tact et mesure.
Les partenaires conventionnels vont donc discuter sous forte pression politique. La machine conventionnelle se met en branle. Le conseil de l’UNCAM (où siègent les partenaires sociaux) vote les orientations le 19 juillet avec un programme qui colle strictement à la commande politique.
Le directeur de l’assurance-maladie, Frédéric van Roekeghem, qui joue son poste, énonce des objectifs ambitieux. Pour éradiquer les abus tarifaires, il réclame une procédure de sanction conventionnelle efficace qui ne s’en remette plus à la notion floue de tact et mesure. Le message est clair : la CNAM veut prendre la main et marginaliser l’Ordre sur ce dossier. Mais d’autres priorités apparaissent déjà : réévaluer les tarifs opposables (cliniques et techniques), trouver un accord de modération pour les praticiens de secteur II (nommé « contrat d’accès aux soins »), mobiliser les complémentaires...
Le constat est connu : 25% des médecins libéraux exercent en secteur II (42% des spécialistes), le taux de dépassement moyen atteint 54% (avec de fortes disparités selon les régions et les spécialités), et l’ensemble des dépassements représentent 2,4 milliards d’euros (France entière, tous régimes).
Climat délétère.
Les négociations entrent dans le vif du sujet début septembre. Il faut résoudre en un mois et demi (la date butoir pour un accord est fixée au 17 octobre !) ce qui n’a pas été fait depuis 32 ans et la création du secteur II, s’alarment les syndicats. Chaque organisation (CSMF, SML, FMF, Le BLOC et MG France) pose des jalons, fixe des lignes jaunes.
Le 5 septembre, c’est la douche froide. La CNAM expose un projet de sanction des dépassements abusifs qui, de fait, aboutit à une mise sous tutelle du secteur II. « Le climat est délétère », résume la CSMF qui parle de « monstruosité technocratique ».
Plusieurs syndicats mettent en avant le gouffre entre la valeur réelle des actes médicaux et les tarifs remboursés. La nécessité de réévaluer significativement le secteur I s’invite déjà dans les négociations.
Suivent plusieurs réunions sur le futur contrat d’accès aux soins à dépassements limités, les zones de difficultés d’accès aux tarifs opposables, la régulation du secteur II, le secteur I… Les séances de diapositives s’enchaînent à la CNAM, qui ne manque aucune occasion pour souligner que ses marges de manœuvre sont limitées.
La présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) accroît encore la pression sur les partenaires. Sans accord, ce sera la loi. Nombre de médecins libéraux s’estiment « stigmatisés » par le discours gouvernemental. Sur internet, dans les journaux, des chirurgiens vilipendent le « dogmatisme » du nouveau pouvoir. Un peu avant la mi octobre, les complémentaires santé (UNOCAM) sortent du bois en annonçant leur volonté d’investir sur le secteur I. La CNAM annonce qu’elle fera elle aussi des propositions en ce sens mais selon un calendrier étalé (2013, 2014, 2015) Tout est en place pour le dénouement avant la séance dite « conclusive ».
Le psychodrame et l’accord aux forceps.
Mais il n’y aura pas d’accord le 17 octobre, date limite officielle. Après une séance marathon de 15 heures, qui s’achève à l’aube, mettant les nerfs des négociateurs et des journalistes à rude épreuve, c’est l’impasse. Les partenaires se retrouveront le 22, après le congrès de la Mutualité française.
Mais un texte détaillé est désormais sur la table (projet d’avenant 8) qui reprend les principaux objectifs de la négociation (contrat d’accès aux soins, dépassements excessifs, revalorisations). « Un compromis satisfaisant », juge Marisol Touraine.
Chaque syndicat pose à nouveau ses conditions avant l’épisode final. Le suspense est à son comble. Il faudra encore…24 heures de discussions épiques non-stop (et une intervention directe de Marisol Touraine) pour aboutir à un relevé de conclusions, signé par quatre syndicats (CSMF, SML, Le BLOC et la FMF). Le fameux seuil de 150% du tarif Sécu n’est plus qu’un « repère », parmi d’autres critères, pour caractériser un dépassement excessif. À noter que 470 millions d’euros sont investis dont 150 millions d’euros par les complémentaires santé pour le secteur I.
Cet accord final dans la douleur sera paraphé deux jours plus tard, le 25 octobre, par la CSMF, le SML mais aussi MG France qui a obtenu des revalorisations tarifaires pour le médecin traitant. Le BLOC, finalement, ne signe pas et la FMF décide de prendre son temps (elle rejettera le texte en décembre).
« Historique » pour les uns, « marché de dupes » pour les autres, l’avenant 8 reste un texte controversé. Il a été publié au Journal Officiel le vendredi 7 décembre.
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