SPECIAL FEMMES - Contraception, IVG, ….

Pr Israël Nisand : « Je n’imagine pas une régression du droit à l’IVG mais un défaut de moyens pour les réaliser »

Publié le 06/03/2014
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Le Quotidien : Les chiffres de l’IVG stagnent en France et pourtant les Françaises ont à leur disposition un grand nombre de techniques de contraception. À votre avis pourquoi ?

Pr Israël Nisand : Sur les 225 000 IVG annuelles, 90 000 surviennent chez les moins de 25 ans. Plusieurs raisons à cela : l’ambiance de défiance par rapport aux hormones ; l’absence d’information à la vie affective et sexuelle dans les écoles et le non-respect de la loi de 2001 sur ce point ; l’absence de confidentialité de la contraception des mineures malgré les effets d’annonce du début 2013 ; l’absence de projet national de santé publique mal compensée par des pass contraception régionaux peu efficaces.

Comme les adolescentes d’aujourd’hui sont les adultes de demain, c’est envers elles que les mesures doivent être instaurées si on veut modifier les chiffres de l’IVG dans notre pays. On a fait le contraire depuis plus d’un an : contraception en berne, IVG gratuite, quel est le message ?

La campagne anti pilule du début 2013 a-t-elle eu un effet négatif, pourquoi ?

Entendre tous les jours à la télé et à la radio que la contraception orale, ça tue, difficile avec cela de continuer à la prendre tous les jours. Malgré les dénégations gouvernementales qui ne reposent sur aucune statistique réelle, le nombre d’IVG a augmenté en 2013, nettement. On va devoir attendre, comme d’habitude, plusieurs années avant que les institutions officielles nous donnent des chiffres issus du remboursement des actes. L’opacité des statistiques de la sécurité sociales et surtout leur indisponibilité servent bien la cause d’une administration qui s’est gravement pris les pieds dans le tapis en cherchant coûte que coûte à faire des économies en matière de contraception pour pouvoir rendre gratuite I’IVG.

L’accessibilité à l’IVG est un problème international ?

L’IVG et avec elle le statut de la femme dans la société sera toujours un thème politique porté par les mouvements conservateurs et/ou religieux. Dans nombre de pays les attaques contre ce droit des femmes servent de fanion de ralliement politique pour restaurer des majorités politiques sur le dos des femmes. Espagne, Pologne, Irlande, États-Unis, sont en but à des poussées de fièvre dans ce domaine et les mouvements féministes y auront fort à faire, toujours. Si les discours populistes centrés sur la démographie et la natalité sont désormais passés de mode, le fonds de commerce politique est désormais le fantasme du « Grand Remplacement » des populations occidentales par des ethnies étrangères au taux de reproduction plus important. La xénophobie a de beaux jours devant elle quand un ancien premier ministre de la France se réjouit du résultat de la votation suisse et encourage la France à faire de même. Mais le recrutement et l’adhésion des électeurs religieux de tous horizons constituent le réel objectif de cette remise en question du droit à l’IVG : en quelque sorte un retour à l’ordre moral.

Y a-t-il danger en France de voir un retour en arrière comme en Espagne ?

La France est épargnée par ce mouvement car même les partis de droite et d’extrême droite n’osent pas remettre en question l’IVG de peur cette fois de perdre plus d’électeurs qu’ils n’en gagneraient. Plus 90 % des Français sont favorables à ce droit des femmes et parmi ceux qui se disent hostiles, c’est pour faire chic sur la photo, car ils sont les premiers à nous amener leurs filles en nous disant bien qu’ils sont contre mais que là tout de même... Je n’imagine pas une régression du droit à l’IVG. Un défaut de moyen pour les réaliser, oui, à l’instar des coups de rabots effectués dans les hôpitaux pour toute l’activité. Et l’IVG y est fragile lorsqu’il faut faire des arbitrages sur les allocations de moyens.

Concernant la contraception, comment, selon vous, en faciliter l’accès ?

Cinq points me semblent essentiels :

- Gratuité et confidentialité réelles chez les mineures de toutes les contraceptions y compris les galéniques innovantes, y compris les consultations indispensables et longues qui les accompagnent.

- Formation des médecins à la contraception des mineures en région et encadrée par des réseaux locaux d’orthogénie

- Information à la vie affective puis sexuelle dès l’âge de 4 ans après avoir formé les maîtres des écoles pour ce faire. Mais de ce point de vue on a plutôt régressé ces derniers mois : encore une histoire de retour à l’ordre moral dont les femmes sont toujours les premières victimes.

- Utilisation plus fréquente des LARC (contraception de longue durée), pour effacer les effets délétères de l’oubli et des anomalies de prise

- Accepter de faire de ce sujet une cause de santé publique nationale. Mais là, de mon point de vue, le courage politique nécessaire étant la denrée la plus rare aujourd’hui dans notre pays, on en est de plus en plus loin.

Propos recueillis par le Dr Lydia Marié Scemama

Source : Le Quotidien du Médecin: 9307