LE QUOTIDIEN : En quoi le mouvement social qui touche l'hôpital est-il inédit ?
PIERRE-ANDRÉ JUVEN : Ce mouvement est historique d'abord par sa durée. Il a un an et n'est pas du tout terminé. Aujourd'hui, les soignants sont mobilisés sur l'épidémie de Covid-19 mais ils sont toujours engagés. Ce mouvement est nouveau aussi dans sa capacité à toucher et à englober l'ensemble des acteurs hospitaliers. Tout est parti de quelques paramédicaux des urgences avec le CIU [collectif inter-urgences, NDLR] avant de s'étendre progressivement à toutes les sphères de l'hôpital avec la création du CIH [collectif inter-hôpitaux, NDLR].
Il y a enfin des modalités de mobilisation nouvelles. On a eu affaire à un collectif très jeune, composé de personnes en moyenne entre 25 et 35 ans, rodées aux outils numériques et conscientes de l'importance de la représentation qu'on donne à un mouvement à travers les réseaux sociaux. Ils ont un vrai sens de la mise en scène. Ce qui fait enfin la nouveauté de ce mouvement c'est aussi qu'il défend un hôpital public qui n'a jamais été aussi mal depuis des décennies. Si le mouvement tient depuis un an, c'est parce que la situation de l'hôpital rend impossible l'arrêt de la grève et de la mobilisation.
Les formes de mobilisation traditionnelles à l'hôpital ont-elles été prises de court ?
C'était très clair au début du mouvement, il y a un enjeu pour le CIU de tenir à distance les organisations syndicales et les médecins. D'abord par un constat d'échec des derniers mouvements. Il y a aussi un sentiment antisyndicaliste fort. Pour convaincre les collègues de s'engager, il vaut mieux que les syndicats soient invisibles. Cela a sans doute permis d'attirer des gens à l'action collective qui n'y seraient pas venus sinon. C'est un peu la même chose pour les médecins. Il y a eu d'abord une volonté du CIU de ne pas les laisser participer car en général ils mettent la main sur le mouvement en raison d'une légitimité et d'une force symbolique professionnelle et hiérarchique. Ils deviennent les leaders, les porte-parole et donc les personnes en interaction avec les pouvoirs publics.
Est-ce que cela signe la fin des organisations syndicales et des médecins en termes d'interaction avec les pouvoirs administratifs et politiques ? Non, il serait faux de le dire. D'abord car les syndicats bénéficient de temps réservé pour s'organiser alors que les collectifs militent sur leur temps libre. La mobilisation a demandé aux personnels un investissement physique, moral et émotionnel très fort. Résultat, au bout d'un an les personnels sont épuisés.
Aucun plan gouvernemental n'a réussi à satisfaire les grévistes, pourquoi ?
Il y a eu une très grande intelligence du mouvement et une capacité de résistance hors norme. Les collectifs ont bien compris que les annonces avaient vocation à calmer le jeu et à donner l'impression de répondre mais qu'en réalité, à court, moyen et long terme, elles n'allaient strictement rien changer pour eux. La boussole qui les a guidés était la suivante : « à partir des réponses qu'on va nous donner, est-ce qu'on travaillera dans de meilleures conditions et est-ce qu'on prendra mieux en charge les patients ? Si ce n'est pas le cas, on continue le mouvement. »
Il faut donc toujours revenir aux grandes revendications du CIU. Et force est de constater qu'aucune n'a été satisfaite. De fait, les primes accordées sont insignifiantes et la lutte contre l'intérim est très floue. Seule la reprise de dette est intéressante et très conséquente. Mais si la dette hospitalière a triplé entre 2002 et 2013, c'est parce que les pouvoirs publics ont refusé d'investir dans les hôpitaux. Agnès Buzyn et Édouard Philippe ont présenté cette mesure comme un cadeau, il s'agit en réalité d'un rattrapage.
Hélas, la crise sanitaire actuelle pourrait donner raison au mouvement. Depuis les années 2000, on considère qu'un hôpital qui marche bien tourne avec un taux d'occupation des lits supérieur à 100%. Le coronavirus viendrait entériner cette idée absurde. Au sortir de la crise, espérons que les collectifs seront pris au sérieux.
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