Les hôpitaux sont-ils à la traîne sur le carnet de santé numérique des Français ? « Les centres hospitaliers ne mettent rien dans le dossier médical partagé (DMP). J’ai attendu six mois pour qu’un CHU qui avait consulté un de mes patients en septembre m’envoie le compte rendu », grogne le Dr Manuel Vincent, médecin généraliste à Corbie (Somme), lors d’une réunion d’échanges entre libéraux et le directeur général de l’Assurance-maladie Thomas Fatôme au siège de la CPAM d’Amiens le 4 avril. « Ne pas exploiter à fond ces outils-là, c’est vraiment un manque à gagner », déplore ce fervent défenseur du numérique en santé.
Si la plateforme Mon espace santé (MES) a vu le jour en 2022, dépoussiérant le fameux DMP, l’alimentation des carnets de santé numériques par les hôpitaux n’a significativement progressé que depuis un an. « Sur les 12 derniers mois, 15 millions de patients ont reçu au moins un document de l’hôpital. Ce qui représente presque 80 millions de documents ajoutés au total, détaille au Quotidien Clara Morlière, directrice de projets à la Direction du numérique en santé (DNS). Il s’agit beaucoup de comptes rendus de biologie lors des séjours hospitaliers. Et sur le mois de mars 2025, plus d’un million de lettres de liaison de sortie ont été téléversées dans les DMP. » Preuve que le chantier numérique avance à l’hôpital, « 58 % des établissements alimentent les DMP tous les mois, s’enthousiasme Clara Morlière. Et on espère monter encore plus haut via les programmes de financements comme SUNES (Ségur usage numérique pour les établissements de santé, ndlr) ».
Un autre programme, nommé « Hop’EN 2 » vise, pour les établissements ayant déjà satisfait aux objectifs du programme SUNES, à ce que 70 % des séjours hospitaliers soient clôturés par l’ajout d’un document de sortie comme la lettre de liaison dans le DMP des patients. « 2 200 établissements sont positionnés sur ce programme, au moins 2 000 devraient avoir atteint la cible d’ici juillet », détaille la directrice de projets de la DNS.
Difficultés à qualifier les INS
Mais des obstacles techniques empêchent les hôpitaux d’alimenter les DMP autant qu’espéré. D’après Laurent Pierre, conseiller numérique en santé de la Fédération hospitalière de France (FHF), cela s’explique notamment par l’impossibilité, dans certains cas, de qualifier l’identité nationale de santé (INS), étape indispensable avant tout ajout de document au DMP par l’établissement. « Ce n’est pas systématique aux urgences lorsqu’elles prennent en charge un patient victime d’un accident grave », illustre-t-il.
Dans ces conditions, le personnel est difficilement à même de vérifier la carte d’identité et la carte vitale, des documents pourtant essentiels à la qualification de l’INS. Autre cas de figure : « dans certaines régions, des hôpitaux prennent en charge beaucoup de patients étrangers et/ou sans papiers, ce qui rend aussi impossible la qualification de l’INS », ajoute Laurent Pierre. Et c’est sans compter les « anomalies entre les identités connues dans la base de l'Assurance-maladie (qui est utilisée par le DMP) et la base INSEE (qui édite la Carte d'Identité) qui empêchent la qualification », complète-t-il.
Ainsi, certains hôpitaux peinent à atteindre les cibles prévues par les différents programmes du Ségur qui accompagnent les mises à jour logicielles : « les établissements publics n’ont perçu que 43 % des financements du Ségur, alors qu’ils représentent 70 % de l’Ondam hospitalier. Pour autant, les hôpitaux publics sont aujourd’hui les principaux producteurs de données du DMP, grâce au volume et à la diversité de leurs d’activités », soulève le conseiller numérique de la FHF.
Le DMP pas assez consulté par les médecins hospitaliers
Passé l’étape de l’alimentation des DMP, reste aux médecins à bien s’en servir. Et sur ce point aussi, ça coince encore. « Alors que l’Assurance-maladie nous a incités, dans le cadre de la convention médicale, à ajouter le volet de synthèse médicale dans le DMP, ce qui me choque, c’est que l’hôpital est dans l’incapacité de le consulter car les praticiens ont égaré leur carte CPS », peste le Dr Luc Duquesnel, président de la CSMF-Généralistes. Problème, même si les praticiens remettent la main sur leur carte CPS, rien ne garantit qu’ils consulteraient les carnets de santé numériques de leurs patients.
« Depuis 2011, les hôpitaux disent que la lecture du DMP sera possible dès lors qu’il sera intégré dans le dossier patient informatisé (DPI), c’est-à-dire quand les médecins n’auront plus besoin de se connecter avec la carte CPS, commente le Dr Jean-Michel Lemettre, médecin généraliste à Amboise et président du groupement régional d’appui de l’e-santé (GRADES) en Centre-Val de Loire. On passe régulièrement dans les services d’urgence pour expliquer aux médecins que ce ne sera pas possible avant deux ou trois ans encore. Et que dès lors qu’ils auront retrouvé leur carte CPS, il faudra créer la e-CPS afin qu’ils prennent conscience de toute la documentation utile qu’ils peuvent trouver dans les DMP, comme les vaccinations, les historiques de remboursements, les directives anticipées ou encore la synthèse médicale rédigée par le médecin traitant ».
Lancée en mai 2024, la vague 2 du Ségur vise justement à implémenter les données du DMP dans les logiciels métiers des praticiens, aussi bien en ville que dans les hôpitaux. « Pour les soignants, cette avancée promet un gain de temps et un accès facilité à l’information médicale, estime Laurent Pierre. À l’échelle territoriale, elle offrira une plateforme commune, favorisant la coordination entre les différents acteurs, notamment entre les DPI des établissements sanitaires des GHT et les DUI du secteur médico-social ». Il faut cependant encore patienter pour atteindre cet objectif. « Les éditeurs de logiciels ont jusqu’à la fin de cette année pour développer les mises à jour, précise Clara Morlière. Certains pourraient être prêts dès septembre. On espère terminer le déploiement d’ici au premier trimestre 2027 ».
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