« Les systèmes d’IA représentent un levier de transformation inédit pour faire face aux défis auxquels notre système de santé est confronté : soutenabilité financière, vieillissement démographique, attractivité du secteur ». Publié en février dernier lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, l’état des lieux français en santé place des ambitions fortes sur la technologie. Et qui font écho aux préconisations de l’OCDE dans son rapport de 2024 : L’IA dans le domaine de la santé – Un immense potentiel, d’énormes risques. « La taille du marché mondial de l’IA appliquée à la santé devrait être multipliée par 16 d’ici 2030, passant de 11 milliards USD en 2021 à 188 milliards », rappelle l’organisation. L’OCDE invite ainsi à « tirer parti d’un nouvel outil aussi puissant » mais alerte sur l’importance de « chercher simultanément à atténuer les risques qu’il comporte ». L’OCDE insiste sur « une supervision et une solide gouvernance (qui) seront indispensables pour pouvoir se saisir rapidement des problèmes et des possibilités qui se feront jour ».
En France, les hôpitaux publics et privés s’emparent petit à petit de la technologie. Pour les accompagner, la Fédération hospitalière de France (FHF), à travers son comité d’éthique, a rendu un avis sur le sujet en avril, notant l’importance de « contribuer à la compréhension de tous d’une nouvelle technique qui évolue, se déploie à une vitesse inégalée à ce jour et touche l’un des biens les plus précieux de notre société, à savoir la santé ». « L’intégration de l’IA progresse dans les établissements, avec des dynamiques variées selon les contextes. Le secteur privé est en mouvement : de nombreuses cliniques et hôpitaux s’engagent dans des projets concrets, certains déjà déployés, d’autres encore en phase d’expérimentation », observe Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).
De multiples usages déjà déployés
L’Anap (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) travaille sur le sujet depuis plus de deux ans. La première phase a consisté à recenser les usages sur le terrain et à les partager au sein de l’Observatoire des usages de l’IA en santé, plateforme portée avec le ministère de la Santé (DGOS). « Nous avons un peu plus de 50 cas d’usages déployés qui sont partagés pour pouvoir être utilisés par d’autres », indique Anaëlle Valdois, experte de l’IA au sein de l’agence nationale. Ils sont répartis autour de six grandes activités : administratif, diagnostic, chirurgie, parcours patient, ressources humaines et systèmes d’information. « Les premières thématiques apparues et qui font aujourd’hui partie du quotidien des établissements sont le codage PMSI, l’imagerie et l’analyse de la satisfaction patients. Cette année, nous voyons se déployer le Speech-to-text, c’est-à-dire la reconnaissance vocale au sein d’une consultation ou d’un parcours qui va permettre de proposer un compte rendu. Nous constatons aussi une appropriation des applications autour du son et de la vidéo, par exemple pour la prévention de chute dans les chambres », ajoute Anaëlle Valdois. En mars, l’Anap a organisé un « challenge » sur les plannings hospitaliers. Résultats : un cadre assisté d’IA faisait mieux qu’un cadre sans assistance. Si l’experte de l’agence tempère les résultats, indiquant que chaque participant est parti d’une feuille blanche, ce qui est rare, elle souligne que certains cadres sans IA n’avaient pas forcément intégré tous les paramètres réglementaires, les règles sur les temps de travail… L’équipe de l’Anap va maintenant lancer un appui de terrain pour « aider les établissements à mettre en place ces règles et les accompagner dans la mise en place de solutions d’IA », confie-t-elle. Un travail est également débuté avec les éditeurs pour leur apporter une meilleure compréhension des enjeux des établissements hospitaliers.
Au sein des établissements privés, Lamine Gharbi recense des usages multiples de l’IA : « L’imagerie médicale est en pointe, notamment en oncologie et en radiologie : l’IA y aide au dépistage du cancer, à l’analyse d’images complexes. Des outils d’aide à la décision clinique et au diagnostic émergent également, capables d’analyser des volumes massifs de données pour proposer des options personnalisées. Que ce soit en chirurgie assistée, en médecine prédictive ou encore en logistique hospitalière, l’apport de l’IA est multiple : suivi des équipements, gestion automatisée des stocks, gestion des plannings, optimisation du codage des dossiers médicaux, utilisation secondaire des données de santé issues des entrepôts de données à des fins de recherche et d’innovation, aide à la transcription de consultations, etc. Autre exemple très concret : grâce à l’IA, les cardiologues peuvent désormais localiser avec une précision millimétrique les zones à traiter lors des procédures de cathétérisme, réduisant ainsi le risque d’erreurs humaines et améliorant les résultats pour les patients. C’est un signe fort : nous avons franchi le cap de l’expérimentation, et cette technologie devient désormais un outil indispensable pour optimiser les soins en cardiologie interventionnelle. »
Un des points clés repose sur la compréhension de l’équipe utilisatrice de la technologie
Anaëlle Valdois, experte de l’IA à l’Anap
Ne pas sous-estimer le temps de projet
Mais pour passer au déploiement, plusieurs étapes sont nécessaires. Avant de se lancer, Anaëlle Valdois conseille de bien prendre conscience qu’ « il s’agit d’une solution numérique à part entière. Si on plaque la technologie sur une organisation qui n’a pas été revue, où il n’y a pas de procédures…, ça ne fonctionnera pas. Le temps de projet ne doit pas être sous-estimé ». L’autre élément clé pour l’experte de l’Anap : le temps humain, notamment pour la formation des équipes. « Il y a deux ans, quand nous avons commencé à travailler sur le sujet, il n’y avait pas forcément de package dédié à la formation prévue par les éditeurs des solutions », note-t-elle. Dans son avis, le comité d’éthique de la FHF recommande que « les professionnels médicaux (soient) formés à l’utilisation de l’IA dans leur spécialité, et les logiciels d’IA (fassent) l’objet de tests par des professionnels aguerris ayant validé la fiabilité et l’apport de chaque système utilisé ». Du côté de la FHP, Lamine Gharbi insiste : « Pour que cela fonctionne, il faut que les équipes aient confiance. Cela passe par la formation, mais aussi par la pédagogie, l’écoute, le temps d’appropriation. La responsabilité médicale doit rester claire : l’IA suggère, le médecin décide. C’est un principe fondamental, à affirmer sans ambiguïté. » Et Anaëlle Valdois précise : « un des points clés repose sur la compréhension de l’équipe utilisatrice de la technologie : s’agit-il d’IA générative ou pas, quel est le modèle d’apprentissage… »
Pour mettre en place un projet, elle conseille plusieurs étapes : d’abord de recenser les solutions d’IA déjà déployées dans l’établissement, d’avoir une direction des systèmes d’information présente et formée à la technologie, d’avoir une attention particulière à l’interopérabilité des solutions avec le système d’information de l’établissement ou du GHT et enfin de ne pas négliger le temps de projet - à commencer par celui nécessaire à l’analyse de l’organisation existante. Anaëlle Valdois cite également certains points de vigilance pour choisir une solution. « Sur l’IA générative, il peut y avoir des hallucinations. Il faut donc veiller à avoir la source. De même, il faut toujours comprendre le type d’IA et les modalités : si la solution me dit qu’il y a une tumeur à cet endroit et que je ne la vois pas, je dois pouvoir remonter l’information. Le mécanisme de contrôle humain est essentiel. L’IA vient en appui mais ne fait pas à la place de… », explique-t-elle. Un principe rappelé également par les fédérations et inscrit dans la loi de bioéthique de 2021 à travers la notion de « garantie humaine ».
C’est un changement structurel et organisationnel, qui exige des investissements importants à tous les niveaux
Lamine Gharbi, président de la FHP
Pour accompagner les établissements, l’Anap a mis à disposition un guide pour « déployer l’IA en toute en confiance ». L’agence organise également le 14 octobre prochain une journée Perf.IA pour présenter des cas d’usages concrets et des clés pour le déploiement de solutions. « Il y a de l’IA possible partout où il y a du numérique. Et comme le numérique est au cœur des parcours de soins, l’IA innervera l’hôpital de la même façon », estime Anaëlle Valdois.
Reste la question de l’investissement. L’experte de l’Anap estime qu’il y a « autant de projets et de budgets que de cas d’usages », tandis que Lamine Gharbi insiste : « L’intégration de l’IA ne se résume pas à une modernisation. C’est un changement structurel et organisationnel, qui exige des investissements importants à tous les niveaux ». Et le président de la FHP de rappeler : « Le plan France 2030, qui prévoit des investissements significatifs, illustre l’ampleur des ressources nécessaires pour faire avancer l’innovation en santé. Cela rappelle combien il est essentiel de poursuivre l’effort collectif pour transformer les pratiques et intégrer ces technologies dans la durée ».
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