Le Centre de gestion scientifique (CGS) de l’école des Mines de Paris (Mines Paris – PSL) accompagne depuis de nombreuses années des établissements hospitaliers sur des projets de transformation, et notamment sur le sujet « massif » du numérique et de l’intelligence artificielle (IA). « Ce qui nous intéresse c’est la rencontre entre ces nouveaux outils et l’institution. Malheureusement, les conséquences organisationnelles restent trop peu étudiées parce que l’on pense, à tort, que le numérique va s’intégrer naturellement ou que les professionnels vont progressivement s’adapter », explique Frédéric Kletz, enseignant-chercheur au CGS. Selon lui, l’outil numérique, qui n’est « jamais neutre », va perturber l’organisation, aussi bien en amont – la conception même de l’outil étant une condition de son acceptabilité – qu’en aval en termes d’impact sur les compétences, les métiers ou encore les modes de coordination entre professionnels.
À la demande des directions hospitalières ou des individus eux-mêmes, le CGS accompagne aussi des professionnels de santé - souvent des médecins et des chefs de service, dans des actions de formation. « Nous leur donnons de nouveaux repères et les sensibilisons aux différents enjeux, non pas de manière désincarnée, mais en fonction de leur contexte d’exercice. Nous abordons la manière dont ils pourraient intervenir dès la conception de la solution, ou encore les impacts en termes de management et de coordination. Plus la démarche sera participative, plus la solution aura des chances d’être intégrée dans l’organisation ».
La bonne nouvelle est que les acteurs se montrent très coopératifs. « Nous ne pouvons pas parler de résistance au numérique, poursuit l’enseignant-chercheur. Bien sûr, les professionnels sont débordés – nous le constatons au quotidien – mais dès lors qu’ils voient un intérêt à participer à un projet mobilisateur, ils trouvent le temps. » Ce qui permet aussi d’entendre certaines réserves qui doivent être travaillées par l’écosystème, comme à titre d’exemple la sur-confiance accordée au numérique. « Un médecin urgentiste nous a récemment expliqué que suite à un problème technique, il avait dû interpréter des résultats complexes d’imagerie sans l’aide de l’IA. En quelques mois, il avait le sentiment d’avoir « désappris ». Cette anecdote est révélatrice des questions qui restent à traiter », souligne Frédéric Kletz.
Validation par les pairs
Chef du département des ressources humaines (RH) du CHU de Caen depuis quelques mois, expert et membre du réseau RH de l’Anap (1), « passionné » par l’intelligence artificielle, Matthieu Guyot note que « de nombreuses équipes de soins échangent facilement sur les solutions qui leur font gagner du temps dans leurs pratiques et sont forces de propositions. La présence, au sein d’un établissement, d’ambassadeurs internes de l’IA est aussi souvent un élément déterminant pour stimuler les réflexions et les initiatives sur le sujet ». Un travail de sensibilisation et de formation des professionnels de santé s’avère toutefois nécessaire afin notamment d’améliorer la connaissance de l’écosystème et d’interagir avec lui pour, par exemple, améliorer les fonctionnalités ou l’ergonomie de certains logiciels.
La présence d’ambassadeurs internes de l’IA est souvent un élément déterminant pour stimuler les réflexions et les initiatives sur le sujet
Matthieu Guyot, CHU de Caen
L’expert encourage également le développement de la gestion de projets - avec des bilans médico-économiques et éthiques réguliers -, que les solutions soient proposées par les professionnels de santé ou les directions. Dans ce dernier cas, « il est essentiel de rencontrer les équipes, de parler leur langage et d’entendre leurs contraintes et leurs besoins. Il convient aussi de distinguer les arguments commerciaux de certains éditeurs de logiciels de la littérature scientifique. La validation de solutions par des pairs est par exemple un élément de nature à favoriser l’adhésion. L’IA ne pourra se développer que si elle apporte des gains réels, comme en radiologie par exemple ».
Certains hôpitaux ont aussi fait le choix de mettre en place des « comités » internes sur l'intelligence artificielle. « Ils regroupent différents types de professionnels : médecins, directeurs, ingénieurs…, souligne Matthieu Guyot. Certains ont défini des bonnes pratiques favorisant le suivi des innovations sur un plan médical ou éthique par exemple. Ces initiatives méritent d’être encouragées car l’IA est un sujet innovant, complexe mais surtout transversal. Seul un travail collectif pourra rendre une solution qualitative et efficace ».
(1) L’Anap a publié en février 2025 « Déployer l’IA en toute confiance, stratégies et bonnes pratiques », un guide disponible sur www.anap.fr
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