Reportage à Aubais : « Une nécessité professionnelle et le plaisir de se voir entre amis »

Publié le 29/09/2018
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Réuni chaque mois, ce groupe de pairs informel de généralistes du Gard a évolué ces dernières années, mais sur le fonds, la méthode est restée la même.
Groupe pairs

Groupe pairs

En ce début d’été, le soleil peine à se coucher sur la robe noire des taureaux d’Aubais, un petit village gardois situé entre Nîmes et Montpellier.

Pizzas sur les bras, le Dr François Lucas rentre chez lui. Il est 20 h. C’est sur sa terrasse, également celle de sa compagne le Dr Laurence Félix, que se tiendra le premier groupe de pairs de l’été. Dans leur jardin orné d’oliviers, leurs deux filles jouent, tandis qu’arrive le Dr Sabrina Rousseau, troisième membre du groupe. Dans ses bras, son fils Théodore, âgé de deux mois à peine. « On est d’abord un groupe de potes avant d’être un groupe de pairs », précise d’emblée le Dr Lucas.

Pas très académique

Agé de 35 ans, ce généraliste est installé dans un cabinet de deux médecins au coeur du village. Si le groupe de pairs formé avec ses consoeurs « n’est sans doute pas très “académique” », il insiste sur l’absolue nécessité pour lui de ce temps d’échanges. « Nous avions tous beaucoup appris, étant internes, lors de groupes organisés dans les locaux de la faculté de médecine. » Les trois médecins du groupe d’Aubais ne respectent peut-être pas à la lettre le protocole de la SFMG mais en conservent la méthode et l’esprit. « On le fait par nécessité professionnelle, pour le plaisir de se voir entre amis, mais aussi car cela nous permet le reste du temps de parler d’autre chose que de notre travail », ironise le Dr Rousseau, qui exerce dans le village cévenol de Sauve.

Les enfants couchés, le groupe commence la séance. Le Dr Lucas joue le rôle d’animateur. La discussion démarre, comme à chaque fois, sur un cas insolite rencontré dans la semaine. il s’agit cette fois un patient de 44 ans très fatigué. « Je prescris une prise de sang... Je pense à des problèmes hormonaux, mais je me retrouve avec des résultats sanguins auxquels je ne m’attends pas. C’est une ferritine basse sans anémie et sans symptôme, mais des plaquettes un peu élevées. Il n’avait aucun antécédent. »

Cas insolites

En train d’allaiter, le Dr Rousseau émet une idée : « J’ai déjà entendu parler d’un cas comme celui-là. Est-ce qu’il donne son sang ? » Réponse immédiate : « Oui, tous les deux mois. Ces perturbations sont probablement liées, mais le volume globulaire moyen était normal. Ce qui me surprend, c’est que l’établissement français du sang ne l’ait pas prévenu... Ça fait bizarre de demander à un patient de ne plus donner son sang... »

Jamais, durant la discussion, n'est évoqué le nom ou le prénom de la personne. « On restreint le patient à la pathologie. C’est ce qui me fait dire “mon cancer de l’ovaire”, alors qu’heureusement je vais bien », souligne le Dr Rousseau. « Ha oui, on se souvient tous de ta patiente ballonnée atteinte d’un cancer des ovaires », lance le Dr Félix à sa consoeur.

La discussion dérive sur l’obligation vaccinale et les réticences de certains parents, puis sur la visite d’un représentant passé qui ne savait pas faire fonctionner son dispositif médical. En congé maternité, le Dr Rousseau parle de la difficulté de continuer de payer la CARMF (Caisse autonome de retraite des médecins de France) dans sa situation.

Débat autour d'un article

Il est un peu plus de 21 h 30. L'arrivée d'une pizza au chorizo coïncide avec la deuxième partie du travail de groupe. François Lucas entame la lecture à voix haute d’une publication sur la prise en charge de l’hypertension artérielle résistante. Les médecins commencent à débattre. Quelques notes de jazz New Orleans remontent d’une guinguette en contrebas du lotissement.

Il est un peu moins de 22 h et la discussion tourne à présent autour du « deuxième patient du mardi après-midi », un homme de 65 ans qui consulte pour un sevrage tabagique. « Il ne m’a pas paru super motivé, mais m’a expliqué que sa nouvelle compagne lui avait demandé d’arrêter. Il a toujours sa pipe dans sa poche, il ne peut pas s’en séparer... C’est une sorte de fétiche. » Le médecin a tenté de raisonner son patient. « Il a évoqué trois moments de la journée où il ne pourrait pas se passer de fumer... On va donc d’abord tenter de limiter sa consommation à ces trois moments », détaille le Dr Lucas.

Congé maternité oblige, le Dr Rousseau fait l’impasse, tandis que le Dr Félix parle d’un patient condamné par la justice avec une obligation de soins à cause de sa dépendance au cannabis. « Je lui ai demandé s’il avait envie d’arrêter. Il m’a dit : “Pas du tout ! Mais je dois voir un médecin, alors me voilà.” Ça m’a un peu désarmé. Je me demande un peu à quoi je sers dans le processus », s’interroge- t-elle. Les études de cas s’enchaînent.

Il est un peu plus de 22 h 30. L'heure pour l’amitié de reprendre ses droits sur le groupe de pairs.

Guillaume Mollaret

Source : legeneraliste.fr: 20180929