UN MOIS après la violente agression du Pr Jean-Charles Delchier, le service d’hépato-gastro-entérologie a repris son cours normal. « Nous n’avons pas peur, c’est un événement extrêmement rare », assure son collègue, le chef de clinique Jean-David Zeitoun. Seuls indices visibles, la porte du bureau du chef de service est désormais équipée d’une serrure codée, d’un œilleton, et d’une sonnette.
De l’avis de tous, de la victime à la directrice de l’hôpital, Mme Martine Orio, en passant par les médecins et la sécurité, rien n’aurait pu éviter qu’une femme noire d’une trentaine d’années, vêtue d’habits d’infirmière (différents néanmoins de ceux d’Henri Mondor), et le visage dissimulé sous une perruque, fasse irruption vers 15 heures dans le bureau du Pr Delchier, le mardi 22 février.
Chaque élément du scénario digne de série noire est incongru. L’agresseur a ainsi jeté un manteau sur le médecin, qui travaillait dos à la porte, pointant sur sa tempe un faux pistolet. « Tu as tué mon père », lui lance-t-elle. S’ensuit une bagarre, où la femme prend rapidement le dessus, se saisit d’un coupe-papier posé sur le bureau, et « laboure », selon ses propres termes, la tête du gastro-entérologue. Elle sort un couteau, le brandit dans les airs, et finit par disparaître par l’escalier de secours, sûrement impressionnée par la vue du sang.
Personne ne perçoit les gémissements ni les paroles du Pr Delchier. « Les secrétaires médicales de l’autre côté du mur travaillent les écouteurs dans les oreilles, et dans un service qui fait des endoscopies, réalisées en anesthésie locale, il n’est pas rare d’entendre les gens crier », explique Jean-David Zeitoun. Le professeur a finalement été pris en charge dans l’hôpital où ses blessures ont été recousues. L’enquête est toujours en cours, l’agresseur n’ayant pas été identifiée. Aucune caméra de surveillance n’est installée dans le service d’hépato-gastro-entérologie. Et la vérification des fichiers des patients décédés récemment, pouvant correspondre à l’accusation de la femme, n’a rien donné.
Sentiment d’insécurité.
Défaut de sécurité ? « C’est un coup de malchance », estime Jean-David Zeitoun. « De 15 à 30 patients par jour attendent dans les couloirs pour des endoscopies, ils sont amenés par des brancardiers, des infirmiers, ou des internes, c’est un lieu de passage où il est impensable de contrôler tout le monde. » Une remarque qui peut s’appliquer à l’ensemble de l’hôpital, qui s’élève sur 15 étages, sans compter les sous-sols, ni le service des urgences, situé dans une aile perpendiculaire. Jean-Charles Delchier parlait également, au micro d’Yves Calvi sur RTL, d’un « épisode hors norme », qui ne remettait pas en cause son désir de travailler à Henri Mondor.
Pourtant, cet acte est révélateur d’une insécurité grandissante, que ressentent vivement les professionnels de la santé. « Au début des années 1980, le médecin, spécialiste ou généraliste, était respecté, on en appréciait l’art. Puis le patient est devenu progressivement acteur de sa maladie, ce qui est une bonne chose. Mais en contrepoint, le respect dû au sachant a été gommé, le statut du médecin dévalorisé, et, je ne dirais pas la violence, mais l’incivilité, devient banale », analyse Martine Orio, directrice d’Henri Mondor. « Les usagers sont très impatients, il n’est pas rare que, depuis leur chambre, où ils ont appelé l’infirmière, ils nous interpellent lorsque nous passons dans les couloirs, pour se plaindre de 5 minutes de retard. Plus grave, nous avons eu affaire, deux fois cette année, à des familles qui exigeaient le placement d’un patient incurable en service de réanimation, alors que nous estimions que les souffrances seraient inutiles », confirme Jean-David Zeitoun. « Nous sommes appelés deux à trois fois par jour, surtout aux urgences, pour des problèmes d’incivilité, des familles qui souhaitent à tout prix des informations, des malades psychiques ou des drogués qui sèment le trouble », confie de son côté Patrick Rocheteau, chargé de la sécurité des personnes et des biens, à la tête d’une équipe de 6 personnes.
Un plan avant l’été
Suite à la vive émotion qu’a suscitée l’agression du Pr Delchier, la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) a immédiatement pris en charge le personnel qui le souhaitait. « Nous avons été rapidement alertés pour accueillir les témoins plus ou moins directs qui étaient sous le choc », explique Hélène Romano, psychologue et coordinatrice de la CUMP. Le lendemain, une intervention a été également programmée pour aider à mettre des mots sur l’horreur et informer de la disponibilité des psychiatres et psychologues.
Parallèlement, la directrice a annoncé un plan de sécurisation de l’hôpital. « Nous allons rajouter des caméras aux 62 déjà présentes, élaborer des systèmes de rondes plus ciblés et installer des portes ou barrières à des endroits stratégiques peut-être trop ouverts », détaille Martine Orio « Mais nous ne pouvons surveiller les 18 étages et l’hôpital n’est pas une prison de haute sécurité. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable : Nous devons accueillir tout le monde sans discrimination de statut judiciaire, social ou racial », poursuit la directrice.
Le personnel soignant semble, de son côté, ne pas s’attendre (ou croire) à un renforcement de la sécurité. Il préfère s’organiser avec les moyens du bord. Notamment aux urgences : « Nous essayons d’anticiper tout acte de violence », explique Alexandra Botero, responsable des urgences psychiatriques et coordinatrice de la CUMP. « Lorsqu’un patient nous semble susceptible d’être dangereux, pour lui ou pour les autres, nous effectuons les soins psychiatriques (administration d´un traitement sédatif et/ou mise en place d’une contention) avec le renfort de l’équipe des urgences. Nous demandons également la présence de l’agent de sécurité, dédié aux urgences, le temps que le traitement soit efficace. Nous travaillons également en lien étroit avec le responsable de la sécurité, Patrick Rocheteau, et à travers lui, avec la police. Nous avons enfin un dispositif d’appel sous le bureau et des caméras placées dans la zone psychiatrique des urgences. »
Il y a quelques années, il n’y avait pas un, mais deux vigiles de permanence 24 heures sur 24. Cette fois, Martine Orio assure que le plan de sécurisation ne souffrira d’aucune restriction budgétaire : « Ce n’est pas extrêmement coûteux, ça ne va pas bouleverser l’équilibre financier d’Henri Mondor ! » Un discours qui a du mal à convaincre une partie du personnel soignant, dans un contexte de rupture avec la direction, dû notamment à la menace de la fermeture de la chirurgie cardiaque, rappelée sur de larges banderoles bleues accrochées à l’extérieur.
Article précédent
Un nombre de violences inédit en 2010
Article suivant
Xavier Bertrand au pas de course
Une explosion de menaces et d’injures
La violence diminue en France, sauf pour les médecins et les gendarmes
Le médecin réclame plus de réactivité des forces de l’ordre
Le protocole national enfin signé !
Un nombre de violences inédit en 2010
Jusqu’où sécuriser les hôpitaux ?
Xavier Bertrand au pas de course
Le Pr Jean-Charles Delchier attaqué au couteau à Henri-Mondor
Tentative d’assassinat d’une gynécologue-obstétricienne
La CSMF demande des actes
Le ministre de l’Intérieur interpellé
Le ministre de l’Intérieur interpellé sur la sécurité des médecins
Émotion à Lyon
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique