Pourquoi ne parvient-on pas aujourd’hui à maintenir davantage de personnes âgées à domicile en France ?
Pr Bruno Vellas : Le problème essentiel vient du fait que notre système de santé n’est pas adapté au vieillissement de la population. Il a été créé après la guerre pour traiter les pathologies aiguës de l’adulte jeune, alors que nous faisons aujourd’hui face à des patients âgés souffrant de maladies chroniques. Rappelons que pour l’OMS [Organisation mondiale de la santé, ndlr], vieillir en bonne santé, ce n’est pas ne pas avoir de maladie, mais conserver les fonctions qui nous permettent de continuer à faire ce qui est important pour chacun d’entre nous. Cinq fonctions essentielles ont été identifiées : la mobilité, la cognition, le sensoriel, le psychosocial et la vitalité. Pour que les personnes âgées restent le plus autonomes possible, il nous faut ajouter à notre système de santé centré sur les maladies la notion de maintien de ces fonctions.
Concrètement, quelles actions peut-on mettre en œuvre pour favoriser le maintien de ces fonctions ?
Pr B. V. Il faut d’abord être capable de les mesurer, et les nouvelles technologies vont certainement nous aider à le faire. Si on mesure une baisse de l’une des fonctions chez un patient, on va pouvoir identifier la cause et intervenir rapidement. L’important est en effet de préserver nos réserves durant la période que l’on appelle le début du vieillissement, qui va de 45 à 75 ans, pour parvenir au plus haut dans la phase de vieillissement proprement dite.
Les professionnels de santé français vous semblent-ils préparés à cette nouvelle médecine centrée sur les fonctions ?
Pr B. V. Non, pas assez. Cette approche n’est pas enseignée dans les facultés de médecine, ne donne pas lieu à des remboursements par la Sécurité sociale… Bref, elle n’est pas valorisée. Si je voulais être caricatural, je dirais qu’on trouve important de mesurer la tension artérielle tous les mois chez une dame âgée qui n’a jamais eu d’hypertension artérielle de sa vie, mais que personne ne va penser à mesurer ses fonctions. C’est quelque chose que les professionnels de santé doivent intégrer.
En dehors des ajustements liés aux professionnels, y a-t-il des réformes à effectuer dans l’organisation des soins ?
Pr B. V. Oui. Aujourd’hui, nous avons eu le courage de dire qu’il existe des infections nosocomiales, et on se donne les moyens de les prévenir. Mais nous n’avons pas fait le même travail sur l’effet que peuvent avoir nos établissements sur la dépendance. Nous avons par exemple observé à Toulouse qu’environ 12 % des patients perdaient une partie de leur autonomie lors d’un séjour à l’hôpital, sans que cela soit expliqué par l’évolution de la pathologie du sujet. La même chose est probablement vraie en Ehpad. C’est une problématique dont il faut se saisir.
L’un des enjeux du maintien à domicile réside également dans le respect du choix des seniors, qui n’acceptent souvent l’admission en Ehpad qu’à contrecœur. Cela fait-il partie de vos réflexions ?
Pr B. V. Sur cette question, il est important d’insister sur la gestion du risque. Une famille peut avoir peur que son parent resté à domicile tombe, par exemple. Mais il faut justement bien éduquer la famille et lui expliquer que seulement 6 % des chutes s’accompagnent de fractures. On a souvent le choix entre deux risques, et il faut savoir choisir le moindre. Car comme je viens de le dire, l’hôpital et l’Ehpad créent aussi de la dépendance.
Comment le comité scientifique de la concertation « Grand âge et autonomie », que vous dirigez, travaille-t-il pour répondre à ces questions ?
Pr B. V. Le comité scientifique travaille avec le conseil d’orientation, chargé de piloter la concertation. Il est composé de gériatres, d’économistes, de représentants de la silver économie, et nous sommes à la disposition du conseil d’orientation pour apporter notre expertise sur des questions éventuelles. Différents ateliers sont organisés jusque fin janvier. L’objectif est d’aboutir, en parallèle avec une concertation du grand public, à des recommandations début février. Mais je ne sais pas ce que les autorités choisiront de retenir de notre travail !
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