Y a-t-il une vie en dehors du groupe parlementaire ? La plupart se posent la question

Publié le 30/10/2020
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Crédit photo : Assemblée Nationale

Tous les députés médecins marcheurs se montrent critiques à l’égard du fonctionnement de leur groupe. Aucun d’entre eux n’élude la question de le quitter*. Et si certains excluent aujourd’hui de prendre une telle décision, d’autres n’hésitent pas à dire qu’ils réservent leur décision. De prochains départs dans les rangs de LREM semblent peut-être à envisager.

En tout cas, les députés médecins LREM ont le blues. Comment s’en étonner en ces temps agités par le terrorisme islamiste, la remontée de l’épidémie, la crise économique, sociale et, forcément, politique ? Chez les marcheurs, la situation se fait plus tendue. Qu’ils reconnaissent que la crise est ouverte, à l’instar du Pr Jean-Louis Touraine, ou du Dr Michel Lauzzanna, ou qu’ils préfèrent parler de « mutation de chrysalide du papillon » (Dr Marc Delatte) de « déphasage » (Dr Jean-Pierre Pont), de « trou d’air » (Dr Julien Borowczyk), ou de « malaise ambiant » (Dr Stéphanie Rist), leurs diagnostics se recoupent. Et l’anamnèse qu’ils proposent est la même : « le groupe des marcheurs a été créé il y a trois ans ex-nihilo, rappelle le Pr Touraine, en observateur expérimenté, qui en est à son troisième mandat de député. C’est un mouvement qui vit toujours une situation d’enfance, avec des membres issus d’horizons divers et dont la plupart découvrent la vie politique. »

« Nous sommes des jeunes bizuths, confirme l’un d’eux, le Pr Jean-François Eliaou, qui avoue vivre « une adolescence politique turbulente, même si nous avons vite appris les codes et les clés. » « Il nous a fallu apprendre à nager dans les eaux politiques », sourit le Dr Lauzzanna.

Deux facteurs aggravants.

À cette absence d’histoire commune liée à une naissance inattendue dans le sillage de l’élection présidentielle, les députés médecins ajoutent deux facteurs aggravants : l’absence d’un parti structuré et un ordre du jour éreintant. « En Marche est resté un mouvement, c’est-à-dire que nous n’avons pas mis en place l’ancrage, les réseaux et l’organisation sur lesquels peuvent s’appuyer les membres des autres groupes avec un parti politique », déplore le Dr Jean-Pierre Pont, exprimant un regret partagé par tous ses collègues-confrères.

Et puis il y a les cadences imposées par les travaux en commission et en séance sur des projets et des propositions qui s’accumulent, tous plus urgents les uns que les autres, sous la pression conjuguée de l’actualité et des engagements programmatiques. « Nous sommes soumis à trop de travaux, constate le Dr Lauzzanna, si bien que nous ne pouvons pas les étudier en profondeur, nous sommes contraints de nous en remettre aux spécialistes qui interviennent en commissions et conduisent les débats. » « En deux jours, nous faisons 32 heures de boulot, c’est épuisant », constate le Dr Pont. « Dans de telles conditions, nous avons tous vraiment du mal à suivre », avoue le Dr Rist, auteur d'une récente PPL pour accompagner le Ségur de la santé.

Renverser la pyramide.

Burn-out et frustration d’ego se conjuguent d’autant plus que les médecins-députés font chorus pour déplorer l’absence de réel débat à l’intérieur de leur groupe. « Nous éprouvons le besoin de mobiliser nos compétences, mais les solistes que nous sommes ne parviennent pas à se faire entendre dans le concert ambiant, déplore le Pr Touraine. Il faudrait susciter un ruissellement de la base parlementaire vers le sommet, il faudrait carrément renverser la pyramide. Mission impossible. »

C’est le syndrome des petits soldats. « Chacun de nous voudrait faire bénéficier l’ensemble du groupe de ses expertises personnelles, mais il n’y a pas d’espace pour cela, confirme le Dr Borowczyk. « Il y a bien des liens qui se créent entre des députés et des cabinets ministériels, mais ils sont souvent compliqués à tisser », admet le Dr Rist.

Évidemment, tous les yeux se tournent vers le maître des horloges, le président de la République. « Je l’ai vu récemment pour parler du système de santé, il est dans l’écoute », poursuit le Dr Rist. « Emmanuel Macron est impressionnant par sa capacité à s’imprégner de ce qu’on lui explique, mais le meilleur cerveau du meilleur chef d’orchestre ne remplacera jamais le rôle des solistes, reconnaît le Pr Touraine, qui déplore en même temps que nombre de ses collègues restent trop timorés devant leur grand homme. « Je suis parfois déçu par l’attitude de Macron, la figure tutellaire, à notre égard », confie le Pr Eliaou. « Nous ne sommes pas que de bons petits soldats », proteste le Dr Borowczyk.

Dans ces conditions, la tempête politique n’est peut-être pas loin d’éclater et les départs de ces derniers mois sont peut-être les signaux annonciateurs d’un effondrement du groupe LaREM. « Pour ma part, je ne m’interdis rien », annonce le Pr Touraine. Le rapporteur du projet de loi bioéthique a déjà pris ses distances en défendant des amendements contre l’avis du gouvernement (PMA post-mortem et pour les personnes transgenres). D’autres discussions, comme sur la fin de vie – « On meurt mal en France », note-t-il – pourraient déclencher son passage à l’acte séparateur.

« Il n’est pas certain que je ne finisse également par partir », confie le Pr Eliaou. Le député de l’Hérault a refusé de voter Legendre, puis Castaner, les candidats « officiels » à la présidence du groupe et même s’il entend serrer les coudes avec ses collègues pour arriver à exister, il se déclare « parfois déçu par les attitudes d’Emmanuel Macron » et, « compte tenu des problèmes de fonctionnement du groupe », il reste ouvert au bon accueil que lui promettent des collègues d’autres groupes de la majorité, tel AGIR.

D’autres médecins députés sont également tentés, mais se montrent plus circonspects. Ainsi le Dr Pont qui entend respecter sa signature et son engagement à LREM, qui lui a valu son élection. « Tout ne me plaît pas forcément, reconnait-il, mais j’ai souscrit à une sorte d’engagement moral. Si je dois changer de groupe, il faudra que je fasse valider ma décision devant mes électeurs. »

Cette question de la fidélité taraude les esprits et elle reste cruciale. « Il peut m’arriver de me démarquer, de voter contre certains textes présentés par le gouvernement et de regretter l’absence de débat en interne, la République en marche reste ma famille, je lui accorde le bénéfice du doute et lui reste fidèle, déclare ainsi le Dr Lauzzanna, que l’on a connu plus enthousiaste…

« Évidemment, j’entends le chant des sirènes, les autres groupes recrutent à bras ouverts, mais quand les temps sont agités et que le bateau tangue, je préfère rester à bord, estime quant à lui le Dr Delatte. J’y suis, j’y reste. Il y a chez nous de l’inquiétude, de l’amertume et forcément des désaccords et des états d’âme, mais tout cela n’est-il pas profondément humain ? Le débat interne nous renforce. »

C’est la ligne aussi du Dr Thomas Mesnier. Le jeune élu (34 ans), successeur d’Olivier Véran comme rapporteur général de la commission des affaires sociales et du budget de la Sécurité sociale, professe que, « face aux urgences, il n’est plus temps de se faire des nœuds aux neurones (pour rester poli) et de se regarder le nombril. Bien sûr, convient-il, il y a de nombreux points qui nécessitent d’être retravaillés, mais il faut se retrousser les manches tous ensemble pour soutenir l’ambition du président de dépasser les vieux clivages et construire du collectif. Faire bloc, comme dit Emmanuel Macron. »

Les députés médecins les plus macroniens regardent cependant de plus en plus au-delà du groupe actuel, pour ne pas dire ailleurs. Le Dr Mesnier lui-même avoue réfléchir à la construction d’une maison commune pour 2022. Le Dr Borowczyk ne dit pas autre chose quand il caresse l’idée d’ « un vaste rassemblement de la majorité présidentielle, qui pourrait prendre la forme d’un intergroupe ». Tout comme le Dr Rist, « en phase sur ce projet commun avec le MoDem ». Finalement, qu’ils partent ou qu’ils restent, tous les médecins députés marcheurs semblent regarder aujourd’hui vers de nouveaux horizons.

*Hormis deux d’entre eux, qui préfèrent ne pas répondre aux questions du Quotidien, les Drs Philippe Chalumeau et Didier Martin.

Ch. D.

Source : Le Quotidien du médecin