Pr Jean-François Bergmann : « Un pamphlet vraiment bâclé, excessif et approximatif »

Publié le 13/09/2012
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Crédit photo : S. Toubon

Vice-président de la commission d’AMM à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), et chef de service de médecine interne à l’hôpital Lariboisière, le Pr Jean-François Bergmann jette un regard sans concession sur le dernier opus des Pr Debré et Even. Il dénonce une « démarche de chroniqueurs pas de scientifiques ».
LE QUOTIDIEN - Les agences sanitaires sont épinglées dans le livre des Pr Debré et Even. Évaluations bâclées, experts noyés dans les liens d`intérêt, etc. Que leur répondez-vous ?

PR JEAN-FRANCOIS BERGMANN - Si on parle de « bâclage », on peut dire que c’est un livre qui est vraiment bâclé ! C’est un pamphlet qui a toutes les déviances du genre : excessif, approximatif, mêlant le vrai et le faux. C’est un peu du niveau de la presse people. Quand ils écrivent que c’est le CEPS qui fixe le taux de remboursement, ou quand ils disent que les médicaments clairement inefficaces sont remboursés à 65 %, cela démontre une vraie méconnaissance du système de santé, probablement liée à une certaine légèreté et rapidité dans la rédaction.

La description qu’ils font du système du médicament semble effrayante...

Oui, car comme toujours dans les pamphlets, ils sont simplificateurs et excessifs. Il est facile de dire « tous nuls, tous pourris, tous vendus ». Ils ont plein de données chiffrées sur la consommation de médicaments, leurs prix, et sur les comparaisons de prix entre la France et d’autres pays, qui sont justes et réelles. Mais l’interprétation qu’ils font de ces données est celle d’un pamphlet. C’est une démarche de chroniqueurs, pas de scientifiques.

Sur le niveau français de consommation de médicaments, les rejoignez-vous ?

Oui, c’est vrai. On en prescrit trop, on en demande trop, on en consomme trop. Ils ont également raison sur les difficultés rencontrées par la pharmacovigilance, comme sur le fait que les prix des génériques sont plus élevés en France par rapport à d’autres pays. Mais développer à partir de faits réels des analyses tout à fait superficielles et polémiques est critiquable. Il y a des propositions de déremboursements que j’ai faites il y a 15 ans et qui n’ont jamais été effectives, soit parce qu’elles n’ont pas été suivies par les gouvernements de droite soutenus par M. Debré, soit parce qu’elles n’ont pas été suivies par les gouvernements de gauche soutenus par M. Even. Ce qui est curieux, c’est qu’en matière de médicament, ils font certaines propositions que je qualifierais de staliniennes, comme celle de supprimer tous les médicaments similaires.

Si on les suivait, on ne garderait qu’un seul antidépresseur, un seul anti-inflammatoire, un seul antiulcéreux, et c’est tout. Quand la Finlande a voulu le faire il y a 20 ans, ça a été une catastrophe pour les patients, car on ne peut soigner tous les dépressifs avec un seul antidépresseur, ni tous les douloureux avec un seul antalgique.

Les auteurs répartissent les médicaments de 24 classes thérapeutiques en trois catégories : utiles, inutiles, dangereux. Y a-t-il selon vous beaucoup de médecins en France disposant de telles connaissances en matière de pharmacopée ?

Vu la polémique grossière dans laquelle ils se complaisent avec approximation, ils peuvent s’autoriser ce qu’ils veulent, quitte à dire des choses fausses. Ils écrivent bien qu’en France, les prix des médicaments sont fixés par les firmes ! Soit ils le croient vraiment et il leur manque des données, soit ils le font par provocation, et dès lors, on n’a pas besoin de compétences scientifiques pour faire de la provocation.

N’importe qui peut le faire, donc, pourquoi pas eux. Quant à leur légitimité intrinsèque, je crois qu’ils n’ont ni l’un ni l’autre jamais participé à de vrais travaux d’évaluation scientifique et indépendante, comme le font les agences sur lesquelles ils tombent à bras raccourcis. Moi, je ne me permettrais pas d’écrire un article sur la chirurgie urologique, ou sur des problèmes de pneumologie si je n’y ai pas directement participé, parce que je ne suis ni urologue, ni pneumologue. Nous sommes en face de deux retraités qui veulent rester actifs. Globalement, ce livre ne vole pas très haut, et ça m’attriste, on voit bien que les deux auteurs ne sont plus au cœur du débat.

 PROPOS RECUEILLIS PAR H.S.R.

Source : lequotidiendumedecin.fr