« LE GUIDE des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux » des Prs Debré et Even est un indiscutable succès de librairie. Plus de 200 000 exemplaires se sont déjà arrachés en dépit des critiques sévères de diverses autorités médicales et scientifiques dénonçant les positions « à l’emporte-pièce » des auteurs, par exemple sur les statines, qu’ils qualifient d’inutiles.
Au-delà de son versant polémique, ce guide ouvre un débat sur l’utilité de la pharmacopée française. Des voix, comme celle du Pr Jean-François Bergmann, ont expliqué que si l’ouvrage est « truffé d’erreurs », il a le mérite de rappeler que les Français consomment trop de médicaments. Le vice-président de la commission d’AMM à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a lancé un « appel pour une autre politique du médicament » rédigé avec quatre de ses confrères. Il réclame « la publication rapide d’un livre blanc des médicaments pour aider les médecins à prescrire mieux et moins, et éclairer le grand public ». En fin de semaine dernière, le collectif interassociatif sur la santé (CISS, usagers de santé)dénonçait le silence assourdissant des autorités sanitaires. « Nous n’en serions pas là si la HAS et l’ANSM faisaient connaître conjointement leur avis aux patients désireux d’arrêter spontanément leurs traitements sur la base des allégations de l’ouvrage », accuse l’association.
Le Pr Harousseau (HAS) inquiet des retombées, le Pr Maraninchi (ANSM) dénonce des amalgames.
Après avoir interrogé les médecins, « le Quotidien » a donc recueilli l’avis des autorités officielles de santé. Bien que tardif, leur jugement est édifiant. Les patrons des deux principales agences sanitaires - la Haute autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex AFSSAPS) - parlent d’une seule voix pour dénoncer le propos du livre. « Il est provocant, attaque le Pr Jean-Luc Harousseau, président de la HAS. Je suis inquiet de ses retombées car il est lu par les patients dans un climat de suspicion envers la médecine et les médicaments. Il y a un risque réel qu’ils arrêtent leur traitement. Il faut leur dire qu’un livre ne remplace pas une consultation ».
Le Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’ANSM, renchérit : « ce livre renforce le sentiment de perte de confiance des patients envers les médicaments et les médecins. Il est dangereux par le risque qu’il induit d’interruption de traitement. Il crée des amalgames ». Pour le patron de l’ANSM, « la mise à jour de la thérapeutique ne se fait pas avec des livres, mais grâce au travail des agences par la réévaluation au fil de l’eau des médicaments ».
À l’Ordre national des médecins cette fois, le Dr Patrick Romestaing a réuni la section santé publique qu’il préside. Avec le guide des 4 000 médicaments au menu. « Les auteurs parlent de l’inutilité de telle ou telle classe thérapeutique, constate-t-il. Mais il nous semble qu’ils ne sont pas en capacité de porter un tel jugement, en dehors de leur spécialité d’exercice ». Le responsable ordinal juge que « ce livre délivre un message de rupture de confiance et fait courir des risques graves, voire létaux, aux patients qui arrêteraient leur traitement ». Quant à la ministre de la Santé Marisol Touraine, elle a rapidement exprimé ses vives réserves vis-à-vis de l’ouvrage (encadré).
Une base de référence dès 2013.
La proposition d’un livre blanc des médicaments, ou guide de référence, ne surprend pas. La HAS et l’ANSM rappellent que la loi Bertrand sur le médicament confie justement aux agences sanitaires la mission d’élaborer une base de données publique de référence sur le médicament. « Nous y travaillons, assure le Pr Harousseau (HAS). Cette base de données comprendra pour chaque médicament les caractéristiques complètes des produits, et la pharmacovigilance ». Le Pr Maraninchi précise la méthode. « Dans cette base de données, nous ne faisons pas de tri, on donnera toutes les informations sur tous les médicaments. Ce travail devrait être livré à la fin du 1er trimestre 2013. Ultérieurement, nous exposerons l’état de la révision de la balance bénéfice/risque pour les médicaments pour lesquels cela a déjà été fait ». Le patron de l’ANSM précise que ces travaux seront consultables sur le site du ministère de la Santé.
Le Dr Patrick Romestaing, à l’Ordre des médecins, met en garde. « Il faudra prendre l’avis des professionnels de terrain, prévient-il. Ce genre de liste peut avoir des effets pervers car nous traitons un patient, et non une population ».
Assaillis de critiques, les deux auteurs de l’ouvrage controversé se défendent. Dans ce guide, assurent-ils, « nous précisons clairement que toute décision d’arrêt ou de changement de traitement ne peut être prise qu’au terme d’une discussion entre le patient et son médecin, seul à même de lui donner un avis éclairé ». Mais c’est pour mieux contre-attaquer : « nous ne reconnaissons pas les soi-disant erreurs pointées du doigt par divers commentateurs concernant les statines, les nouveaux antidiabétiques oraux ou les manipulations allergologiques ».
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