Entre sanctions internationales et possibilité d’ouverture

En Iran, le fragile espoir d’une santé meilleure

Publié le 17/02/2014
Article réservé aux abonnés
1392603170497999_IMG_122906_HR.jpg

1392603170497999_IMG_122906_HR.jpg
Crédit photo : DR

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE DELPHINE CHARDON

Une ruelle de Téhéran, un jour de janvier, à l’écart des embouteillages monstres. Sur la porte d’entrée du cabinet médical, un dessin barre l’accès aux hommes. La salle d’attente est pleine comme un œuf, certains ventres pointent sous le tchador sombre. La réputation du Dr Marzieh Vahid Dastjerdi, gynécologue, n’est plus à faire. Fille de dignitaire religieux, le Dr Dastjerdi est une figure en Iran pour la défense du droit des femmes. Une figure politique aussi.

Le Dr Dastjerdi ne nous recevra pas. Sans doute manque-t-elle de temps, à moins que la sollicitation d’un journal occidental soit embarrassante. Il faut dire que la gynécologue a payé cher pour avoir publiquement dénoncé, dans les media iraniens, l’envolée du prix des médicaments en Iran. Elle a osé le mot de corruption. Une accusation forte, que le précédent président, Mahmoud Ahmadinejad, n’a pas supportée. Il l’avait congédiée sur le champ, elle qui était à l’époque ministre de la Santé. C’était en décembre 2012. Depuis, le Dr Dastjerdi a retrouvé le chemin de son cabinet. Le problème qu’elle a mis sur la table n’a pas disparu pour autant.

Les sanctions internationales à l’encontre de l’Iran se sont durcies il y a deux ans, et le pays, depuis, vit coupé du monde. Plus d’échange commercial, plus aucune transaction bancaire. Le médicament est censé bénéficier d’une exception. Mais une poignée d’Iraniens auraient profité des sanctions pour détourner, au profit de secteurs lucratifs comme le luxe et l’automobile, les facilités financières supposées être réservées à l’importation des produits de santé. Ce laboratoire pharmaceutique européen, basé à Téhéran, a vécu une année noire en 2013. « Le précédent gouvernement n’a pas attribué les réserves monétaires promises au secteur du médicament, relate le responsable. Nous avons eu beaucoup de mal pour importer les granules qui nous permettent de produire localement ».

Un marché noir du médicament qui profite à quelques-uns

En cas de rupture générale - le cas s’est souvent présenté l’an dernier -, les Téhéranais ont une adresse : le marché noir Naser Khosrow, à deux pas du grand bazar. Un lieu qui a pignon sur rue, tenu par des gens influents. « On y trouve de vrais médicaments importés illégalement, vendus hors de prix, mais aussi des contrefaçons d’Inde, de Chine, des médicaments achetés sur Internet... », raconte cette pharmacienne.

Les histoires de catastrophe sanitaire fleurissent sur la toile. Un jour, dans un hôpital, aucun malade ne s’est réveillé. Tous avaient été endormis avec un anesthésique frelaté. Un comédien célèbre est mort l’an passé, privé de traitement anticancéreux six mois d’affilée. Un décès médiatisé peut en cacher des dizaines. Pour la presse officielle, un seul coupable : le « grand satan ». Le peuple n’est pas dupe. Sous couvert d’anonymat, certains dénoncent l’hypocrisie de leurs dirigeants. « C’est à cause des propos incendiaires d’Ahmadinejad qu’on trinque, ose cette femme. Le peuple souffre terriblement. Les gardiens de la révolution n’ont qu’un but, le profit. Pas la religion, ni le bien-être de la population ».

Le dégel international débouche sur l’espérance

C’est dans ce contexte de grande tension que le modéré Hassan Rohani a été élu en juin 2013. Les libertés, depuis, n’ont pas progressé : le nouveau président veut d’abord en finir avec l’embargo. En novembre est signé un accord international, qui prévoit la levée partielle des sanctions contre le gel de certaines activités nucléaires. L’Iran a six mois pour transformer l’essai. L’équilibre est précaire. L’espoir soulevé, lui, est immense.

Les professionnels de santé n’osent pas encore parier sur des jours meilleurs. Mais chacun rêve de tourner le dos aux deux années noires qui viennent de s’écouler. Ce chirurgien cardiaque est encore meurtri d’avoir dû fermer une salle d’opération quelque temps : « Un instrument pour opérer à cœur ouvert manquait ». Ce chirurgien orthopédique, lui, voit la moitié de ses opérations annulées. « Les instruments ne sont pas remboursés, et le prix des prothèses a été multiplié par trois. Pour le genou et le rachis, les patients payent. Pas pour l’épaule et la main. C’est devenu du luxe ». Et pourtant, le praticien opère dans le public.

Les pharmacies reconstituent leurs stocks

L’étau autour du médicament semble toutefois se desserrer. L’industrie pharmaceutique iranienne a mis les bouchées doubles, et les pharmacies ont à peu près reconstitué leurs stocks cet hiver. Antirétroviraux, anticorps monoclonaux, produits anticancéreux sont produits localement. Mais l’Iran, s’il exporte vers l’Afrique, n’est pas encore autosuffisant.

Le Dr Farrad Heshmati peut en témoigner. Cet hématologue d’origine iranienne, PH à Cochin (AP-HP), préside l’association de coopération médicale entre la France et l’Iran. L’an dernier, le cabinet d’Ahmadinejad lui adresse deux commandes de traitement anticancéreux, d’un montant de 500 millions d’euros. « Nous avons tout essayé. Il a été impossible d’ouvrir une voie bancaire ».

La présidente de l’association d’amitié France-Iran, ancienne journaliste à France 3, a écrit à Bernard Kouchner sous Nicolas Sarkozy, puis à François Hollande, pour attirer l’attention du gouvernement français. Dans sa réponse, l’actuel chef de l’État a rappelé qu’il n’y a pas d’embargo sur le médicament. Tout en renvoyant aux contraintes des sanctions. « Ces sanctions sont une forme de non-assistance, et l’Europe porte une responsabilité, assène le Dr Heshmati. Il est temps de mettre la médecine à l’écart ».

L’industrie pharmaceutique française, elle, est dans les starting-blocks, convoitant ce gigantesque marché de plus de 80 millions d’habitants. Des laboratoires hexagonaux ont participé à la mission exploratoire du MEDEF, début février, à Téhéran. Le premier semestre 2014 s’annonce décisif pour l’avenir de l’Iran.

VERBATIM

« Les Nations Unies nous ont accordé 150 000 euros pour soigner les enfants afghans réfugiés. À quatre reprises, ce projet humanitaire a été reporté. J’ai dû aller en Malaisie ouvrir un compte, car aucun pays n’a accepté de faire transiter l’argent. »

Maryam Marashi

Directrice de la chaîne de l’espoir en Iran

En complément

Source : Le Quotidien du Médecin: 9302