« Mais comment ça, je ne suis pas crédible en brancardier pour le photographe du Quotidien ? Ça fait des années que je fais ça ! »
L'ophtalmologiste libéral de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) dépose son patient en salle de réveil, esquisse un pas de danse en repartant vers le bloc, dit « hop », « bon allez », « hein », plaisante, tutoie et mouline l’air de ses bras entre deux opérations de la cataracte, soit une pause de moins de cinq minutes.
L'organisation de la chirurgie ambulatoire pour un patient « à peine rentré déjà sorti », comme il le définit, lui convient parfaitement. Et puis neuf patients opérés en une matinée, « c’est bon, hein, ça vaut quand même le coup ». Voilà le huitième, homme âgé, malvoyant, en chaussons et charlotte, debout, qui marche jusqu'à son brancard. Il est 11 h 15. Le troisième, 82 ans, opéré en début de matinée, sortira dans deux ou trois heures. On lui demande si ce n'est pas un peu tôt : « Quand on a fait la guerre, votre truc d'ambulatoire là, c'est rien ! »
Tarifs opposables
Douze box, trois blocs et l’ambulatoire érigée en religion par des praticiens libéraux dans un hôpital sans réanimation ni service de chirurgie conventionnelle – mais avec un service de médecine polyvalente, des soins de suite et de réadaptation et des urgences. L’unité ad hoc de Nogent-le-Rotrou est unique en France.
Le même principe qu'en cliniques s'y applique : les chirurgiens libéraux reversent une redevance (la même pour tout le monde) à l'hôpital à chaque vacation. Grosse différence : les dépassements d'honoraires sont interdits. L'après-midi est consacré aux consultations, dont l'objectif est double : assurer le suivi des patients mais aussi le « recrutement » de ceux dont l'état nécessite une chirurgie plus lourde, alors orientés vers les cliniques partenaires du Mans, d'Alençon et de Chartres où exercent aussi les chirurgiens. La continuité des soins garantit un tarif opposable aux malades, pour beaucoup âgés et avec des petits revenus.
Aubaine pour la population
Situé dans le Perche, Nogent-le-Rotrou fait partie de ces petites villes qui ont vu leur offre de proximité s'effriter. 2001 : fermeture de la petite clinique de 20 lits. 2003 : fermeture de la maternité transformée en centre de périnatalité. 2007 : fermeture des 30 lits de chirurgie de l'hôpital.
L'unité ambulatoire est née sur ce champ de ruines, transformé en opportunité par quelques esprits aventureux. « Un libéral du Mans a proposé de monter l'unité en récupérant l'autorisation de chirurgie, se souvient la pétillante cadre de santé Valérie Garnier. Ça a marché, on l'a vu arriver avec une demi-équipe de foot d'anesthésites et de chirurgiens, on a déroulé le tapis rouge ». En 2013, tout ce petit monde investit une aile du nouveau bâtiment de l'hôpital.
Cinq ans plus tard, c'est Déborah Desplanches, « faisant fonction de cadre » de l'unité ambulatoire de 29 ans, étoiles tatouées dans le cou et sourire constant aux lèvres, qui gère les plannings des paramédicaux et des 20 chirurgiens, cinq anesthésistes et un gastro-entérologue. « Lui, il nous fait 12 coloscopies-fibroscopies en une matinée ! » explique-t-elle en parlant de ce dernier.
Modèle transposable ?
La gastro-entérologie et l'ophtalmologie sont les spécialités stars. Chirurgies viscérale, vasculaire, orthopédique, ORL, stomatologie et urologie complètent l'offre. Les blocs tournent à plein régime du lundi au vendredi. Déborah n'hésite pas à déprogrammer en cas de petite journée, d'autant que la plupart des chirurgiens ont près d'une heure de route. C'est le cas du Dr Carmen Cabral, chirurgien digestif du Mans. Le médecin de 41 ans vient deux jours par mois. Au programme ce mercredi : une hernie, deux exérèses de lésions cutanées et 15 consultations. « Tout est bien rodé, le circuit est optimisé et le patient cocooné », note-t-elle.
De fait, l'activité ne cesse d'augmenter. En 2017, l'unité a enregistré 2 500 actes – en augmentation de 6 % par rapport à 2016 – et seulement trois transferts. « On ne peut pas hospitaliser les patients le soir, la sécurité est donc LA règle fondamentale », insiste le Pr Gérard Champault, chef du pôle ambulatoire et grand manitou du secteur. Prochain objectif : le développement de la chirurgie gynécologique.
L'unité ambulatoire a donné un nouveau souffle – et un regain de réputation – à l'hôpital, excédentaire depuis sept ans. L'agence régionale de santé (ARS) Centre-Val de Loire a volontiers renouvelé l'autorisation de chirurgie ambulatoire l'année dernière. « L'unité ambulatoire est une aubaine pour la population vieillissante de la ville, assure la tutelle sanitaire au Quotidien. C'est une réponse raisonnable et graduée pour des soins de proximité. Aucun événement indésirable grave n'a été signalé depuis 2011. » L'initiative est un tel succès que l'ARS envisage de transposer le modèle ambulatoire à l'hôpital de Chateaudun, en souffrance à 50 km.
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