Xavier Girerd, 51 ans, spécialiste en HTA (1) : Framingham, 4S, le mètre ruban...
« Mon premier contact avec la cardiologie, c’est la mort de mon grand-père en 1971, j’avais 11 ans. Je l’admirais ! Ingénieur en aéronautique, ancien pilote d’essais, c’était un bourreau de travail. Je le regardais, médusé, tester l’envol de ses maquettes d’avion sous les volutes incessantes de la fumée de ses cigarettes maïs. J’étais fasciné par son cendrier « avaleur » de mégots. Mais ses excès, non combattus en ces temps par la médecine, se sont mal terminés. Il a été pris d’un malaise, conduit à l’hôpital et il est décédé au 3e jour d’une nécrose massive du myocarde à l’âge de 70 ans. À l’époque c’était un grand classique de sortie de vie.
À la fin des années 1970, je suis étudiant en médecine à la Pitié-Salpêtrière à Paris. Sans m’y attendre, je vais avancer dans une période extrêmement riche qui va motiver mon engagement en cardiologie. Le Pr Yves Grosgogeat nous enseignait que le chiffre définissant l’HTA était une pression artérielle systolique (PAS) de 100 mmHg à laquelle il fallait ajouter 10 mmHg par dizaine d’âge. Ces chiffres vont être revus progressivement à la baisse dès le début des années 1980 avec les résultats des premiers essais thérapeutiques. L’étude Framingham avait reconnu formellement l’HTA comme un facteur majeur de risque cardio-vasculaire (FDR). J’ai tout appris sur la prévention cardio-vasculaire dans les suppléments " Maladies Cardio-Vasculaires " édités par " le Quotidien du Médecin " et animés par deux sommités, les
Prs Joël Ménard et Philippe Passa.
A la même époque entrent en scène des médicaments révolutionnaires : les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC). Ils vont transformer la vie des cardiaques et des cardiologues qui voient leurs patients vivre mieux et plus longtemps.
Un autre bouleversement arrive en 1994 avec la publication de l’étude 4S (Scandinavian Simvastatin Survival Study). C’est un vrai coup de tonnerre. Cette étude montre que les statines, via la baisse du LDL cholestérol, prolongent la vie de nos patients. Je vois encore Joël Ménard sortir de son bureau en balançant ses grands bras et en criant, il faut donner des statines à tout le monde !
Bon anniversaire.
En 2009, le jour de mes 50 ans, une étude parue dans le « BMJ » clôt trente ans de connaissances sur le bénéfice à traiter une HTA. Cette méta-analyse inclut 157 essais thérapeutiques réalisés au cours de ces 3 décennies avec des antihypertenseurs. Je crois que je vais utiliser cette diapo pendant les 20 ans à venir. La baisse de 10 mm Hg de la PAS diminue de 40 % le risque d’AVC et de 20 % le risque d’insuffisance coronaire.
Armés contre l’HTA et l’hypercholestérolémie, on s’est attaqué au diabète de type 2. Mais là, contre toute attente, on a constaté que seuls les statines et les anti-hypertenseurs ont un impact très significatif sur les complications cardio-vasculaires de ce trouble métabolique.
Autre évolution, l’augmentation du nombre des superobèses en France, population que l’on rencontrait uniquement lors de nos congrès américains. On prend maintenant en compte un nouveau marqueur de risque vasculaire : le périmètre abdominal. Il ne doit pas dépasser 102 cm chez l’homme et 88 cm chez la femme. Du coup, ma blouse s’est enrichie d’un nouvel accessoire : le mètre ruban. En consultation, j’ausculte, je pèse et je mesure les tours de taille.
Je passe plus de temps à parler de conseils nutritionnels, de sevrage tabagique et d’activité physique que de médicament. De ce côté-là, ça roule tout seul ! La cardiologie est devenue une médecine sur rendez-vous, de patients atteints de maladies chroniques parfois très évoluées mais gérables très longtemps, à des âges avancés. Au fil des ans, les campagnes grand public relayent efficacement les messages de prévention. C’est un atout majeur. Et je m’applique à suivre mes conseils en faisant du vélo d’appartement 20 minutes par jour en lisant "le Quotidien du médecin " ! »
Nicolas Danchin, 58 ans, spécialiste des coronaires (2) : l’échographie, l’angioplastie et l’âge
« L’échographie cardiaque est à mon sens la plus grande révolution technologique du domaine. Quand j’étais externe, j’ai même servi de cobaye à l’un de mes aînés prestigieux qui découvrait la technique et j’ai conservé longtemps l’image de ma mitrale en échographie TM ; c’était en 1976 et j’allais commencer mon internat au CHU de Nancy.
Avant on ne disposait que du stéthoscope, de l’ECG et de la radiologie. Je ne nie pas l’apport de l’angiographie, de la scintigraphie, du scanner ou de l’IRM pour évaluer tantôt l’anatomie, tantôt le fonctionnement du cœur. Mais l’échographie a été la technique qui a bouleversé les capacités diagnostiques.
Les débuts de l’angioplastie ont également été une sacrée aventure. Le geste était complexe, risqué et les risques de complications (y compris la mortalité) non négligeables. Il fallait programmer sa réalisation deux mois à l’avance et s’assurer de la présence d’un chirurgien pour faire un pontage au cas où ça se passe mal. Les patients retenus étaient généralement jeunes (la moyenne d’âge était d’à peine plus de 50 ans) et ils avaient des atteintes monotronculaires, avec des sténoses courtes très proximales Il fallait être hardi et la technique était réellement stressante. On ne disposait que d’un cathéter avec un petit morceau de guide fixé au bout et, tranquillement, on progressait en avançant le cathéter là où il voulait bien aller, pour essayer de franchir les sténoses. On croyait beaucoup aux vertus salvatrices de la revascularisation. Mais à notre grande surprise, on s’est aperçu que 5 % des patients reconvoqués pour une dilatation bouchaient leursartères sans événement clinique grave. On a ainsi compris peu à peu que les infarctus survenaient généralement lors d’obstructions de sténoses peu serrées tandis qu’à l’inverse, une sténose serrée stable n’était pas forcément gravissime.
Début 1990, j’exerçais toujours au CHU à Nancy et c’est à cette période que la prise en charge des coronariens a considérablement évolué. On commençait à faire des angioplasties en urgence. Pendant une longue période j’ai été quasiment le seul à prendre les astreintes de week-end. On ne disposait pas encore de téléphone portable ; c’était l’époque du tamtam. Je laissais mon numéro de téléphone partout, quand j’allais au restaurant, au cinéma… C’était un peu lourd à gérer, à la longue. Heureusement, le succès de cette technique a amené à mettre enplace petit à petit une organisation mieux structurée.
Mais plus je regarde en arrière, plus je me dis qu’en fait, le changement le plus important en 35 ans, c’est l’âge des patients. Quand j’étais interne, on avait interdiction d’hospitaliser les plus de 70 ans en soins intensifs lorsqu’ils faisaient un infarctus et il était exceptionnel de faire une coronarographie à quelqu’un de plus de 65 ans. Maintenant, on accepte des centenaires et on n’a plus peur de dilater leurs artères, quand c’est nécessaire. Qui l’aurait prédit ? »
(1) Pôle Endocrinologie, Unité de Prévention des Maladies Cardiovasculaires, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Faculté Pierre et Marie Curie, Paris 6
(2) Service de cardiologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
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