En 1971, la démographie médicale a déjà entamé une formidable ascension qui durera une bonne trentaine d’années. Selon l’INSEE, il y avait cette année-là environ 70 000 médecins en France, un chiffre qui est passé à près de 200 000 en 1997. À l’époque, il n’était donc évidemment pas question de parler de zones sous-médicalisées, d’autant que, comme le rappelle l’Ordre des médecins, « dans les années 70, en moyenne un médecin sur deux s’installait en libéral ». Ce pourcentage est tombé à moins d’un sur dix aujourd’hui. Pour expliquer en partie ce processus, rappelle François-Xavier Schweyer, professeur à l’ENSP (École nationale de Santé publique), il faut avoir à l’esprit que les ordonnances Debré, signées en 1958, ont créé « un corps de praticiens hospitaliers à plein-temps qui jouira d’emblée d’une grande notoriété. Pour la première fois, des médecins peuvent faire carrière à l’hôpital public ». De plus, la création des CHU va petit à petit drainer autour d’eux une population médicale libérale qui se trouvait auparavant plus disséminée. C’est une des raisons pour lesquelles le désamour des médecins libéraux vis-à-vis certaines zones rurales va lentement commencer à se manifester.
Si l’Ordre des médecins s’est investi dès 1979 dans la problématique de la démographie médicale en publiant des comptes rendus annuels, Gwénaëlle Le Breton, géographe de la Santé de l’institution, estime que le terme de zone sous-médicalisée n’est apparu qu’au début des années 2000. Dans « le Quotidien » du 21 janvier 1999, pour la première fois, le Dr Frédéric Penit, président du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) se déclare « partisan d’incitations financières à l’installation dans certaines zones désertées ». Mais ces zones restent très peu nombreuses et se définissent surtout par rapport à l’abondance passée. À telle enseigne qu’une étude du ministère de la Solidarité et de l’Emploi de 1999 met en évidence le fait qu’entre 1980 et 998, le pourcentage de communes françaises dotées d’au moins un généraliste est passé de 24 à 28 %.
Des zones longtemps floues.
Malgré tout, les déserts font lentement leur apparition. En mars 1999, Gilles Johanet, directeur de la CNAM, propose dans son plan stratégique pluriannuel de fermer certaines zones de surdensité médicale à l’installation. Mais le plus curieux, note « le Quotidien » en septembre 2001, c’est que « tout le monde parle de ces zones atteintes par la désertification, mais personne ne les a répertoriées ». « Ces zones sont connues des conseils départementaux de l’Ordre, reconnaît à ce sujet le Dr André Chassort, alors secrétaire général adjoint du CNOM, mais elles ne sont pas encore centralisées. »
En 2002, Jean-François Mattei, ministre de la Santé, prend la mesure du problème et charge le Pr Yvon Berland d’un rapport sur le sujet. Des mesures sont déjà préconisées (primes à l’installation, avantages fiscaux, autorisation d’ouvrir un cabinet secondaire en zone rurale), mais aucune cartographie précise de ces zones n’est encore véritablement disponible. Il faudra attendre 2003 et la création de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS, présidé par le même Yvon Berland) pour qu’un début de cartographie soit ébauché. Pas de surprise, les zones sous médicalisées se trouvent essentiellement dans le centre, l’ouest et le nord de la France, alors que les rivages méditerranéens font déjà figure de pays de cocagne en matière de présence médicale.
En 2006, alors que s’achève la première cartographie de ces zones par les Missions régionales de santé, Xavier Bertrand lance son « Plan démographie médicale ». Mesure phare du dispositif, une majoration d’honoraires de 20 % pour les médecins exerçant en groupe dans une de ces zones. L’initiative n’aura pas les effets escomptés. En 2007, l’Ordre des médecins change de braquet. Il publie pour la première fois son « Atlas de la démographie médicale ». Les médecins et les pouvoirs publics disposent désormais d’une cartographie départementale précise de l’offre de soins, ventilée par spécialités. Si la qualité du travail est louée par tous, elle ne permet cependant pas de trouver les remèdes appropriés. En 2009, la loi HPST de Roselyne Bachelot s’attaque au problème. Elle propose notamment les contrats d’engagement de service public (CESP), qui prévoient une allocation mensuelle à partir de la 2e année des études médicales. En contrepartie, les étudiants s’engagent à exercer dans une zone déficitaire, pour une durée égale à celle durant laquelle ils ont perçu l’allocation.
Les rapports sur la médecine libérale parus en 2010, notamment ceux du Dr Michel Legmann et du Dr Élisabeth Hubert, insistent sur la nécessité d’en rester aux mesures incitatives en matière d’installation. Soucieux de reconquérir l’électorat médical, le président Sarkozy, qui envisageait des mesures plus radicales au début de son quinquennat, se rallie à l’idée. Mais à l’Assemblée nationale et au Sénat, des parlementaires rongent leur frein et rêvent pour les médecins d’un dispositif conventionnel calqué sur celui expérimenté depuis deux ans par les infirmiers, qui limite le droit d’installation dans les zones déjà bien dotées. En attendant, le numerus clausus qui a été fortement relevé depuis 2002, devrait commencer à porter ses fruits à partir de 2015, ce qui pourrait contribuer à redensifier un peu les zones sous-médicalisées. À partir de 2030, promettent les démographes, la densité médicale devrait retrouver ses niveaux de 2000. À cette date, « le Quotidien » aura 59 ans.
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