À l’avenir, les médecins généralistes pourront-ils renouveler des lunettes en lien avec les seuls orthoptistes ? C’est en tout cas ce que souhaite expérimenter l’assurance-maladie dans les maisons de santé. Au grand mécontentement des ophtalmologistes.
« Nous regrettons de ne pas avoir été consultés sur ce projet qui risque de perturber l’équilibre de la filière de la santé visuelle. S’il devait être mis en œuvre, cela serait un changement majeur de direction dans le parcours de soins des patients », indique le Dr Thierry Bour, président du Syndicat national des Ophtalmologistes de France (SNOF).
Le projet figure dans un avenant à la convention nationale conclue entre l’assurance-maladie et les orthoptistes, paru le 23 juin au « Journal Officiel ». Cet avenant fait d’abord état de la mise en application du protocole « Muraine », validé par la Haute autorité de santé (HAS).
Dans le cadre de ce protocole les orthoptistes pourraient réaliser l'ensemble du bilan visuel (bilan oculomoteur, réfraction/AV, tonométrie, rétinographie) au sein de la maison de santé avant d’envoyer les éléments du bilan aux médecins ophtalmologistes, qui effectueraient l'interprétation et l'envoi de la prescription éventuelle au patient. « C’est un protocole qui va dans le bon sens dans le cadre d’une collaboration intelligente avec les orthoptistes en télémédecine », indique le Dr Bour.
Des compétences outrepassées ?
Mais l’avenant prévoit aussi une expérimentation du renouvellement de lunettes en lien avec un médecin généraliste au sein de la maison de santé. Dans ce cas, ce dernier orienterait le patient vers l'orthoptiste (avec élaboration d'une prescription) en vue d'un renouvellement de lunettes. « Une organisation spécifique au sein de la structure devra alors être mise en place pour la transmission au patient, le nécessitant, de la prescription de lunettes établie par le médecin généraliste mentionnant la nouvelle mesure de la correction à partir des examens réalisés par l'orthoptiste », précise l’avenant. Pour le Dr Bour, cette expérimentation va dans la mauvaise direction. « Le code de la santé publique stipule qu’un médecin ne peut prescrire qu’à partir de constatations qu’il a lui-même effectuées sans outrepasser ses compétences. Or, là, le généraliste ferait cette prescription à partir d’examens réalisés par l’orthoptiste, sans avoir la compétence pour analyser lui-même ces examens. C’est toujours la position qu’a eue le conseil de l’Ordre quand, par le passé, des opticiens ont souhaité s’adresser aux généralistes pour renouveler les lunettes », indique le président du SNOF.
Le Dr Bour estime aussi que cette initiative pourrait retarder l’accès au diagnostic de certaines pathologies visuelles. « Aujourd’hui, l’ordonnance d’un ophtalmologiste est valable cinq ans pour les personnes de 16 à 42 ans. Après 42 ans, la validité est de trois ans. Cela permet de voir les patients de manière régulière dans le temps et de dépister le cas échéant, les maladies oculaires ne donnant pas de signes cliniques au début (glaucome, DMLA, rétinopathie diabétique…) », indique le Dr Bour. Dans un communiqué, en juillet, le SNOF soulignait que 36 % des personnes, consultant un ophtalmologiste pour une prescription oculaire se voient diagnostiquer un autre problème médical. « Or si l’ordonnance de renouvellement est faite par le généraliste, certaines personnes pourraient très bien rester dix ans sans voir un ophtalmologiste et ne pas bénéficier du dépistage poly-pathologies effectué lors d’une consultation d’ophtalmologie de base. Ce serait un non-sens avec les ambitions sur la prévention affichées dans la Stratégie Nationale de Santé », prévient le Dr Bour.
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