VIES DE MEDECIN

Catherine Bonnet : une lanceuse d’alerte au Vatican

Publié le 05/01/2015
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« Quand elle a une idée en tête, Catherine ne lâche rien, jamais », témoigne la présidente de l’AIVI, l’association internationale des victimes d’incestes, Isabelle Aubry. L’idée qui a toujours poursuivi le Dr Catherine Bonnet remonte à sa petite enfance : « J’avais six ans, ma sœur avait été brûlée lors d’un accident, elle pleurait et je voyais ma mère lui prodiguer les premiers soins. Ce jour-là, j’ai décidé que je serai médecin et que je soulagerai les enfants qui souffrent. » Une idée, devenue vocation puis, au fil des décennies, une croisade : soigner et signaler. Faire la jonction entre médecine et justice, en se battant pour le signalement des cas d’incestes et de violences sexuelles extra-familiales.

Après une formation aux Saints-Pères, une spécialité en pédopsychiatrie, en France, puis aux États-Unis, au Metropolitan state Hospital (Californie) et une pratique très internationale, au Maroc, en France et en Égypte, le déclic, comme elle dit, se produit à partir de 1984 : installée en intersecteur libéral à Paris, Catherine Bonnet prend en charge des adultes en situation d’échec psychanalytique. « Je découvre alors, raconte-t-elle, derrière les addictions, les malaises affectifs et professionnels, des tragédies d’enfance enfouies, des scénarios qui reproduisent la maltraitance et suscitent des dénis de grossesse, jusqu’à des infanticides. » En 1990, son livre « Geste d’amour, accouchement sous X » (Odile Jacob), à sa grande surprise, bénéficie d’un large écho médiatique, libérant la parole de femmes qui avaient subi des violences, quelquefois des incestes, sans pouvoir être écoutées. C’était le temps des « Hum hum… » étouffés dans les cabinets de psys. Rapidement, des confrères lui adressent de plus en plus d’enfants victimes de violences que l’on n’avait pas appris à détecter.

« J’ai tout perdu »

À partir de 1996, l’année où éclate en Belgique l’affaire Dutroux, Catherine Bonnet effectue des signalements auprès des autorités judiciaires, pour des cas d’enfants de plus en plus jeunes. De quelques mois à sept ans : « Les petites victimes ont alerté l’un des parents par des changements de comportement. Mais les bleus psychiques laissés par ces agressions sexuelles chez les tout jeunes enfants sont difficiles à faire reconnaître par les tribunaux. » Relayés par des associations comme SOS Papa, qui dénoncent « une idéologie anti-pères et les fausses allégations d’enfants manipulés par des mères hystériques désireuses de retirer aux pères leurs droits de visite », les présumés agresseurs portent plainte pour des certificats de complaisance, mensongers, ou des dénonciations calomnieuses. Malgré les confirmations des praticiens hospitaliers, les sanctions ordinales tombent. En 1998, la pédopsychiatre frôle la radiation, condamnée à trois fois trois ans d’interdiction d’exercer. « J’ai tout perdu, confie-t-elle, clientèle et logement. » Devenue « une tête de Turc », elle s’exile, devient pédopsychiatre intérimaire dans des services hospitaliers britanniques. Mais elle ne lâche toujours rien. En 1999, elle publie « L’Enfant cassé, l’inceste et la pédophilie » (Albin Michel). Elle y analyse la confusion psychique qui s’empare de l’enfant, de son désir de tendresse, lorsque violence et plaisir s’associent dans l’assouvissement du besoin sexuel du pédophile. Elle démonte cette manipulation mentale qui inverse la culpabilité et entrave la parole. « Ce livre contient 50 pages d’une sémiologie extraordinaire que tous les médecins devraient lire », s’exclame alors devant son staff le Pr Gérard Lenoir, patron de la pédiatrie générale de Necker.

Car la croisade de Catherine Bonnet cible en priorité les médecins, en l’absence de toute formation initiale sur la question pédophile. Comment repérer, diagnostiquer ? Comment rédiger un signalement ? À qui l’adresser ? Stigmatisée, harcelée, exilée, la pédopsychiatre multiplie conférences et publications, dénonçant un état de droit qui ne protège pas. Malgré des avancées, les médecins français ne bénéficient toujours pas du cadre juridique adopté par une douzaine de pays européens (Espagne, Suède, Autriche, Italie, Russie…), où l’obligation de signaler prime sur tout autre critère.

« Le Dr Bonnet a eu le seul tort d’être en avance par rapport aux événements, juge le Dr Jean-Louis Chabernaud, chef du SMUR pédiatrique d’Antoine-Béclère. Cela la lui a valu en plus des ennuis disciplinaires, de subir des campagnes violentes, alors que sa compétence de pédopsychiatre justifiait chacun des signalements qu’elle a effectués. Son combat a permis de marquer un tournant en France, dans la reconnaissance des violences sexuelles sur enfants. »

Une reconnaissance maintenant officialisée jusqu’au Vatican. Sa nomination en mars dernier, parmi les 8 membres de la commission pontificale, est « un événement extraordinaire, un cadeau du ciel », sans cacher son émotion, pour ne pas dire une divine surprise, pour cette ancienne élève des carmélites missionnaires, à laquelle on ne connaît pas d’engagement dans les milieux ecclésiaux, et qui n’a pas eu l’occasion de connaître de cas de pédophilie dans le clergé. « Cette nomination d’une laïque pour ses seules compétences de médecin est à la gloire du pape François, commente le pédiatre Christian Spitz, connu pour ses prestations iconoclastes à la radio, sous le pseudonyme du « Doc ». Le pape n’a pas hésité à qualifier les abus commis par des prêtres de "messes noires". Quantité de dossiers sur la pédophilie restent bloqués dans le monde. Des films continuent à être tournés avec enfants mis à mort. Le combat scientifique de Catherine Bonnet a permis de sensibiliser les médecins sur le devoir de signalement. Mais c’est aux juges et aux politiques d’avoir aujourd’hui le courage de s’engager. »

Christian Delahaye

Source : Le Quotidien du Médecin: 9340
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