VIES DE MÉDECIN

Gérard Maudrux : l’inoxydable patron de la CARMF tire sa révérence

Publié le 07/09/2015
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

« Je n’ai pas vocation à rester perpétuellement président de la Caisse autonome de retraite des médecins français (CARMF) », assurait-il au « Quotidien » à la veille de son élection en mai 1997. « Je ne passerai pas dix ans à la tête de la CARMF, j’espère passer la main dans trois ans », confiait-il en 2000 tout juste réélu.

Raté ! Dix-huit ans après sa prise de fonction, sauf coup de théâtre, le Dr Gérard Maudrux va quitter la présidence de la caisse de retraite, lors du conseil d’administration du samedi 12 septembre. Un décret paru cet été modifie les règles de gouvernance des sections professionnelles de la caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales. Ce texte de la DSS limite à trois le nombre total de mandats des présidents de caisse. « Un texte taillé sur mesure pour me mettre dehors », clame le chirurgien retraité de 66 ans, fort en gueule, qui a marqué le secteur.

La pétition mise en ligne par ses soutiens (nombreux à s’exprimer sur le site du « Quotidien ») et signée par près de 4 000 personnes n’y changera rien. Gérard Maudrux en a pris son parti. « Dans ma tête, j’ai déjà tourné la page, je ne me représenterai pas. Et c’est avec soulagement que je quitte mes fonctions. » La CARMF appartiendra bientôt au passé d’un homme qui y a été omniprésent. Comment ce fils d’ingénieurs a-t-il pu devenir incontournable à la caisse de retraite des médecins ? Lui-même a du mal à l’expliquer.

Homme d’Action

Le Dr Maudrux s’est fait un nom en 1991 en fondant Action santé. Il parvient à mobiliser des médecins, kinésithérapeutes, pharmaciens, dentistes... contre la politique de santé de Claude Evin, alors ministre, accusé de vouloir « rationner les soins » et « étatiser la médecine ». Avec le CNPS, Action santé rassemblera jusqu’à 300 000 personnes à Paris le 17 novembre 1991. Ce fait d’armes le prédestinait à une carrière syndicale... ou politique.

À cette époque, il est invité à Paris par Nicolas Sarkozy. « Il a passé plus d’une heure à essayer de me convaincre de me présenter aux prochaines élections, se souvient le Dr Maudrux : "On a vu ce que vous étiez capable de faire tout seul depuis Grenoble, vous arriverez bien à nous prendre une circonscription. Dites-nous laquelle vous intéresse, vous l’aurez." Je n’ai pas cédé. » La politique n’était pas faite pour lui. En mai 1997, il se présente sans étiquette aux élections législatives de Savoie contre Hervé Gaymard, alors secrétaire d’État à la Santé et à la Sécurité sociale. Il n’obtient que 2,16 % des suffrages. Même s’il a adhéré quelques années au SML, et une fois à la FMF et à la CSMF, le chirurgien ne se sent pas non plus l’âme d’un leader syndical. Son dada, ce sera la retraite. En 1993, il s’empare de ce dossier et fonde SOS Retraite. « C’est un agitateur, il fait partie des gens qui font bouger les choses », commente le Dr Jacques Meurette, chirurgien qui l’a côtoyé au SML et avec qui, notamment, il a contribué à fonder le SUC, syndicat unifié des chirurgiens. SOS Retraite réalise un ras de marée aux élections des délégués départements de 1997. L’association s’oppose au projet de la direction de la CARMF d’augmenter significativement les cotisations et propose de développer la retraite par capitation. Mis en minorité en 1998, il démissionne après que le CA a décidé une forte augmentation des cotisations. L’ancien président, le Dr Claude Labadens, reprend les commandes de la CARMF pendant 18 mois. « Il n’y avait pas de grandes différences entre la politique du Dr Maudrux et la mienne, se remémore le Dr Labadens, si ce n’est que j’aurais augmenté un peu les cotisations pour éviter une baisse des retraites. »

De retour aux affaires en 1999, Gérard Maudrux sera systématiquement réélu tous les 3 ans. Triomphalement.

Caractère bien trempé

Sa caisse, il l’a conduite d’une main de fer. « C’est un homme de conviction, qui n’accepte pas les compromis. Il a parfois été mis en minorité par le conseil d’administration mais n’a jamais trahi la démocratie », commente le Dr Yves Léopold, vice-président de la CARMF, et proche confident du Dr Maudrux, qui est son voisin dans le Gard. L’homme donne l’impression d’être caractériel et sec. « C’est une carapace, ajoute le Dr Léopold. Il nous a annoncés un jour la mort d’une administratrice et n’a pas pu finir, il a fondu en larmes. »

Ce caractère bien trempé et ses prises de position parfois radicales, exprimées dans les éditos du bulletin de la CARMF, ont fortement compliqué les rapports de Gérard Maudrux avec les syndicats de médecins, surtout la CSMF et MG France. Il a défendu pendant plusieurs années la fermeture progressive de l’ASV, une perspective à laquelle les deux syndicats se sont toujours opposés.

Si l’homme a indéniablement séduit la profession, sa méthode a divisé les responsables syndicaux. « Il a marqué son époque et restera comme un grand président de la CARMF », soutient le Dr Jean-Claude Régi, qui l’a côtoyé lorsqu’il était à la tête de la FMF et fut longtemps l’un de ses seuls soutiens syndicaux. « Attaquer directement des syndicats ou des ministères comme il l’a fait n’est pas la meilleure façon d’obtenir ce que l’on veut », commente le Dr Yves Decalf, président du syndicat des médecins concernés par la retraite.

Un bilan en débat

« Je salue l’homme qui a pris de son temps pour s’occuper de la CARMF mais je ne salue pas son bilan, déclare l’un de ces principaux détracteurs, le Dr Claude Leicher, président de MG France. Il voulait arrêter les hausses de cotisation, supprimer l’ASV et ne pas toucher à l’âge de la retraite à 65 ans, il a échoué sur ses trois objectifs. »

L’intéressé ne partage évidemment pas ce constat. Il se réjouit du quasi-équilibre du régime complémentaire et d’avoir fait de la CARMF une des caisses les plus sociales et confraternelles de France, qui vient notamment en aide aux confrères malades. Il regrette que les cotisations soient encore trop lourdes pour les praticiens aux bas revenus et que son projet de retraite à la carte n’ait pas emporté l’adhésion de tous.

Depuis quelques années, la retraite moyenne des médecins libéraux s’est maintenue autour de 2 600 euros avant prélèvements sociaux alors que le nombre de praticiens retraités n’a cessé d’augmenter (58 000 en juin 2015 contre 40 000 en juillet 2010).

Le chirurgien a consacré une grande partie de sa vie à la retraite mais n’a pas vraiment soigné la sienne en cessant son activité à 57 ans quand la majorité de ses confrères partent à 65 ans. « J’ai cotisé moins longtemps et avec la décote, je touche 2 200 euros net de retraite par moi », explique-t-il.

Bricoleur, Gérard Maudrux a retapé un moulin de fond en comble dans une commune du Gard. « J’ai tout refait : plomberie, menuiserie, électricité, ça m’a pris quatre ans. On ne peut pas être un bon chirurgien si on n’est pas un bon bricoleur. »

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Christophe Gattuso

Source : Le Quotidien du Médecin: 9430
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