Le cheveu fourni et à peine moins brun la soixantaine passée, la mâchoire affirmée et le regard lointain, en jeans et sans blouse, Alain Serrie arrive d’un pas assuré. C’est un homme d’action et de convictions, un meneur visionnaire, « un fonceur », comme le décrit son ami de 40 ans, le Dr Jacques Meynadier, anesthésiste lillois.
Réfléchi et rapide, ambitieux et altruiste, meneur et passeur de savoirs, à la fois constant et sur tous les fronts, cet hyperactif atypique, entièrement voué à la lutte contre la douleur, met un point d'honneur à prendre le temps d'écouter les autres… longtemps s'il le faut. Cette complexité, Olivier Weber, écrivain, ambassadeur et grand reporter qu'il a rencontré « dans la boue » en mission humanitaire en 1985, la résume ainsi : « C'est à la fois un mandarin, un académicien qui appartient au sérail et un homme de terrain, très humain. »
Prolixe, très précis et structuré ou se perdant d’une anecdote à une autre selon les circonstances, il sait aussi laisser de la place à l’autre. « Sur le terrain, il écoute beaucoup pour ensuite être capable de dire : « Voilà ce qui va, ce qui ne va pas dans votre hôpital », analyse Olivier Weber. Il n’aime pas trop se mettre en scène, visiblement embarrassé lors des séances photo « blouse fermée ou ouverte, on ne sait jamais trop comment se mettre », hésite-t-il le temps d'un instant.
« Un peu borderline »
« Ceux qui s’intéressent à la douleur sont un peu borderline, finit-il par lâcher. Les rhumatologues, les neurologues, qui vont plus loin dans la prise en charge de la douleur, sont sortis de leur discipline pour aller vers une nouvelle façon de faire la médecine où on prend le temps d’être avec le patient. »
Combatif, Alain Serrie ne cache pas sa fierté que la douleur soit aujourd'hui « un paramètre en médecine comme le pouls et la tension », car ce ne l’était pas du tout le cas au début de sa carrière en 1975. C'est lui l'homme aux manettes des plans Douleur lancés en 1988 par son ami Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé. « D’une très grande intelligence scientifique et concrète », comme le décrit le Pr Patrice Queneau, doyen honoraire de la faculté de Saint-Etienne et académicien, Alain Serrie a réussi à mener de front plusieurs carrières parallèles et complémentaires. Une aspiration assumée et profonde.
Médecine, Fac de sciences et Sciences Po
Jeune bachelier avec mention, il ne manquait déjà pas d’ambition et s’était inscrit la même année en médecine, en faculté de sciences et à Sciences Po Paris. « Je me suis rendu compte que ça faisait peut-être beaucoup », lâche-t-il dans un sourire. Au bout de 6 mois, il met de côté la fac de sciences et Sciences Po, – pour mieux y revenir ensuite – et poursuit médecine, lui qui est issu d'une famille sans médecin et portée « à servir la cause générale ».
Une prise de conscience décisive le met sur les rails contre la douleur. Sollicité pour la prise en charge des patients cancéreux, le jeune anesthésiste-réanimateur prend alors la mesure du « vide en connaissances médicales sur la douleur ». Qu'à cela ne tienne, après avoir enchaîné travaux de recherche primés et séjours marquants à l’étranger, il consacre une thèse de neurosciences sur la douleur à l’INSERM et à Harvard. Il n’y aura pas de retour en arrière.
« Attends, je te prends en photo », lance-t-il à la volée à un des médecins du service, à l'allure décalée dans les couloirs de l'hôpital avec son gros sac de randonnée sur le dos et un chapeau de paille cambodgien sur la tête, s'apprêtant à partir avec un encombrant souvenir de mission, rendre visite à une tante à… Clermont Ferrand. Tels sont ses amis qui le décrivent unanimement comme quelqu'un « d’une gentillesse spontanée », « d’une générosité hors du commun » et plein de « charisme ». Le Dr Meynadier y va de sa petite touche : « Il sait fédérer les énergies. Quand quelque chose ne lui plaît pas, on le voit à son visage et cela s’arrête là ». Cela lui vaut un carnet d’adresses bien rempli et des coups de pouce salvateurs, qu’à son tour il ne manque pas de donner.
« Ce qui est intéressant, c'est de se diversifier », assure celui qui a su pourtant préserver sa vie de famille. « Un père très attentif, très disponible pour aider », dit de lui Jacques Meynadier. Avec sa femme, elle-même médecin vasculaire, Alain Serrie assure n'avoir rien espéré d'autre pour ses enfants « qu’ils soient contents de faire en se levant le matin ». L'aîné bachelier à 16 ans choisira Polytechnique mais ce dont il est le plus fier : « (ses) deux enfants et deux petits-enfants ».
Alors quelle est la clef de l'activité foisonnante de ce touche-à-tout auteur d'une quinzaine d'ouvrages, recommandations médicales bandes dessinées ou encore contes pour enfants ? « Il n’y a pas un temps pour le travail et un temps pour la réflexion, c'est un continuum », confie Alain Serrie. Et assurément, c’est un travailleur acharné, « comme un fou », d'après son ami Patrice Queneau, « sur la brèche en permanence, il ne s’arrête jamais, il a toujours 20 casseroles sur le feu », selon Jacques Meynadier.
Arrêter la douleur, un droit universel
S'il affirme « beaucoup déléguer », il avoue ne pas avoir « de week-end, ni de vacances ». Plus jeune, il partait en mission humanitaire en famille, « les enfants jouant à la piscine de l’hôtel » si le contexte le permettait.
Aujourd’hui, pour réussir à aller une fois par an dans chacun des pays de Douleurs sans frontières (DSF), il adopte une organisation millimétrée faite de « sauts de puce, choisissant les ponts avec un départ le vendredi soir et un retour le lundi matin ».
De ce parcours hors norme, il garde quelques regrets, « d’avoir laissé les choses en plan en mission quand les situations devenaient trop dangereuses ». Mais les regrets laissent vite la place à de nouveaux chevaux de bataille : « La douleur n’est pas encore une spécialité, c'est important qu'elle le soit pour attirer les vocations », martèle-t-il.
Article initialement publié le 17 octobre 2016
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