Vies de médecin

Aaron Carroll : Dr YouTube

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Publié le 25/01/2018
AARON CARROLL

AARON CARROLL
Crédit photo : Marina Waters

S’il fallait caractériser d’un seul mot les vidéos que le Pr Aaron Carroll poste sur sa chaîne YouTube Healthcare Triage, ce serait certainement « enthousiasme ». Face caméra, dans un décor de labo de pacotille, ce professeur de l’Indiana décrypte avec passion les dernières recherches sur le cannabis thérapeutique, détaille le besoin criant d’immigrants pour faire fonctionner le système de santé américain, vilipende les charlatans qui perpétuent le mythe du lien entre vaccination et autisme… Et pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, ce croisé de la santé a failli tout plaquer pendant ses études.

« Aussi loin que je me souvienne, j’ai voulu être médecin, raconte-t-il au Quotidien. Mais lors de ma residency [plus ou moins l’équivalent de notre internat, N.D.L.R.], à Seattle, j’étais si frustré par notre système de santé qu’il était devenu difficile pour moi de pratiquer. » Problèmes de coût, barrières diverses et variées… Au début des années 2000, Aaron Carroll pense à raccrocher le stétho. « Il y a eu tant de fois où je pensais savoir ce dont mes patients avaient besoin, mais où je ne savais pas comment le leur fournir, se souvient-il. Heureusement, j’ai eu des mentors qui m’ont fait remarquer qu’il était possible de consacrer sa carrière médicale à changer système de santé lui-même. Et c’est ainsi que je suis devenu chercheur sur les systèmes de santé. »

Un surdoué de la com’

Un choix qui a souri à Aaron Carroll. Il est aujourd’hui professeur de pédiatrie, doyen associé à la fac de médecine de l’université d’Indiana, et directeur du Center for Health Policy and Professionalism Research. Il consacre le plus clair de son temps à des travaux académiques sur le financement de la santé, la formation des médecins, ou encore les questions médico-légales. Mais s’il s’était cantonné au monde de l’université, sa notoriété n’aurait probablement pas dépassé le petit cercle des spécialistes de Medicaid et de l’Obamacare. Voilà qui ne correspond pas vraiment au tempérament de ce surdoué de la communication.

« Je me suis rendu compte que si on veut vraiment changer les choses, on doit s’adresser au monde réel, et sortir de sa tour d’ivoire, explique-t-il. En parlant de la recherche, des données au public, on peut aider les gens à prendre de meilleures décisions sur leur santé et sur la politique de santé en général. » C’est pourquoi le pédiatre s’est mis à faire feu de tout bois. Conférences, livres, blogs, apparitions télé et radio… Il est partout. Et il n’économise pas son énergie.

Feu de tout bois

La liste de ses travaux est en effet impressionnante. Depuis 2009, on recense notamment quatre livres, tous voués à la déconstruction de croyances populaires sur la santé. Les titres valent le détour. Citons les deux derniers : « Ne mets pas ça là-dedans » (consacré aux mythes sur le sexe), et « La bible de la malbouffe » (consacré aux recommandations nutritionnelles et leurs excès). Aaron Carroll contribue également avec l’économiste Austin Frakt au blog The Incidental Economist, et leurs articles sont depuis quelques années également publiés dans The Upshot, une publication du New York Times dédiée à l’analyse et au décryptage.

Le pédiatre considère que c’est The Upshot qui lui a donné la plus grande visibilité aux Etats-Unis. Mais il s’est également attiré une grande popularité sur YouTube, avec des vidéos tournées depuis 2013 de manière très professionnelle dans les studios de John et Hank Green, deux célèbres vidéastes qui multiplient les chaînes sur différents sujets. Sa notoriété commence même à franchir l’Atlantique, du moins du côté des personnes qui s’intéressent à la santé et que l’anglais ne rebute pas. Mais Aaron Carroll garde la tête froide. « Bon, si on compare aux vraies célébrités d’internet ou du cinéma, il y a encore du chemin », rigole-t-il. L’essentiel n’est d’ailleurs pas là. Ce qui compte pour lui, c’est « de contribuer au combat avec des données ».

Un combat plutôt chronophage. Quand on demande à Aaron Carroll comment il fait pour mener tout cela de front, il ne joue pas au modeste. « Je pense que je suis devenu très efficace pour compulser la littérature scientifique », affirme-t-il. Reste que son emploi du temps est parfois plus chargé qu’il ne le voudrait. « J’essaie de ne pas trop y penser, de peur de faire une crise d’angoisse, sourit-il. Mais à la fin de chaque semaine, je me rends compte que j’ai réussi à tout faire ! »

Adrien Renaud

Source : Le Quotidien du médecin: 9634
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