La santé des médecins

Dr Donata Marra : « Les problèmes que vivent les étudiants sont similaires à ceux de leurs aînés médecins »

Publié le 15/09/2014
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Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Comment est né le BIPE, Bureau Interface Professeurs Etudiants de l’Université Paris 6 ?

Dr DONATA MARRA : Il y a une dizaine d’années, une réflexion était en cours sur les aides que les étudiants en difficultés pouvaient recevoir au sein même de la faculté de médecine. L’existence de suicides, la fréquence du burn out et des dépressions dans les établissements d’enseignements supérieurs, qui étaient également signalés à Paris 6, ont accéléré la réflexion. Il y a une dizaine d’années, une réflexion était en cours sur les aides que les étudiants en difficulté pouvaient recevoir au sein même de la faculté de médecine. Des cas de burn out ou de dépression chez des étudiants étaient régulièrement signalés. À cette époque, tous les étudiants étaient mis en contact avec un enseignant référent. Ils pouvaient aussi être reçus pas des psychologues des services hospitaliers ou du service de médecine préventive. Mais ces possibilités étaient peu utilisées et insuffisantes pour couvrir les besoins exprimés. Les étudiants soulignaient en outre le manque de soutien individuel et pédagogique. L’idée est apparue qu’il manquait une structure d’échanges et de concertation.

Du fait de ma formation de psychiatre et pédopsychiatre spécialisé dans la réussite et l’échec scolaire, et de mon expérience au Canada où toutes les universités disposent de structures dédiées indispensables à leur accréditation, le vice-doyen m’a demandé d’élaborer un projet spécifique en 2005. Après une année de travail sur les contours de ce projet, le BIPE a été mis en place en février 2006 à titre expérimental. L’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où je travaille, m’a dégagé du temps pour cette mission. Désormais je suis missionnée par la Faculté de médecine et mise à disposition au niveau de l’université Pierre et Marie Curie (Paris 6) à temps partiel, chargée de mission « Réussite et innovation » pour favoriser la réussite des étudiants de façon transdisciplinaire.

Le BIPE a été pérennisé en septembre 2006. Son but est de proposer des interventions pour favoriser le bon déroulement des études de médecine et le bien-être des étudiants.

En pratique, quelles aides propose le BIPE ?

Le BIPE est accessible à tous les étudiants à partir de la seconde année de médecine, aux internes en stage dans les hôpitaux dépendants de l’Université Paris 6 et aux anciens étudiants de l’université. Les étudiants sont informés du mode de fonctionnement du BIPE lors de la réunion d’accueil des étudiants en début d’année et par mail. Le numéro de téléphone et l’adresse mail sont affichés dans les locaux de la faculté. L’anonymat de l’appelant est garanti : aucune mention des appels au BIPE n’est faite dans le dossier de l’étudiant.

Le plus souvent c’est l’étudiant qui appelle. Mais le contact peut aussi venir de ses camarades, d’un médecin référent hospitalier ou d’un maître de stage.

Les tuteurs sont tous des médecins enseignants volontaires pour cette mission. Ils acceptent de recevoir rapidement l’étudiant en difficulté et de s’investir auprès de lui pour analyser ses problèmes (académiques ou personnels avec des répercussions dans ses études) et si besoin l’orienter vers des solutions, parfois extérieures à l’université. Tous les problèmes ne peuvent en effet pas être solutionnés par l’université qui reste avant tout un lieu d’apprentissage. À l’issue de l’évaluation initiale, les étudiants peuvent aussi être orientés vers les services de médecine préventive de l’Université, le service social, le relais santé-handicap, les BAPU (Bureau d’Aide Psychologique Universitaire) ou des médecins extérieurs (en particulier des psychiatres). Les tuteurs ne font pas de suivi psychiatrique.

Le BIPE peut aider les responsables d’enseignements dans des cas précis où un aménagement des conditions de travail pourraient être utiles (handicap, maladie somatique, etc.).

Une liste de consultants de deuxième ligne est aussi disponible pour des avis plus spécialisés sur le plan pédagogique ou autre.

Est-ce que globalement les étudiants vont plus mal aujourd’hui que ceux des générations précédentes ?

Les problèmes que vivent les étudiants sont similaires à ceux de leurs aînés médecins : stress, problème de gestion du sommeil, difficultés d’apprentissage ou de méthodes de travail, questionnement par rapport à leur profession, burn out… Aujourd’hui, grâce au BIPE, ils peuvent exprimer ces sentiments sans avoir peur d’être stigmatisés.

Nous travaillons – avec le doyen et le vice-doyen – à mettre en place des mesures de prévention primaire (en expliquant qu’il est possible de douter de ses choix et de ses orientations et en proposant des apprentissages de gestion du stress, d’amélioration des méthodes de travail…), de prévention secondaire (en accompagnant les étudiants et si besoin en les adressant à des référents) et de prévention tertiaire (en les aidant à continuer leurs études avec éventuellement quelques aménagements et surtout à penser leur future spécialité en tenant compte de leurs difficultés).

La période de la fin des études universitaires avant le passage des ECN est un temps très délicat : de nombreux questionnements émergent en particulier quant au choix des filières et à l’existence d’un droit unique au remords. En outre, les étudiants savent que pour prendre un poste d’interne, il leur est demandé de remplir les conditions d’aptitude physique et mentale pour l’exercice des fonctions hospitalières auxquelles il postule. L’ensemble de ces faits rend particulièrement inquiets certains étudiants, notamment ceux qui souffrent de problèmes somatiques ou psychologiques ou d’une difficulté à trouver leur place dans les études de médecine et qui se posent des questions sur leur avenir.

Chaque année, le BIPE organise des forums de carrière où les étudiants ont la possibilité de rencontrer près de 80 médecins qui exercent dans tous les domaines de la médecine. C’est l’occasion de rencontrer des praticiens aux modes d’exercice variés (privés, publics, libéraux, ambulatoires, ou ayant pris d’autres voies).

Dr I. C.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9348
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