Depuis novembre 2012 à La Garde (Var), le centre universitaire privé Fernando Pessoa dispense des formations en odontologie et en orthophonie à une centaine d’étudiants. Plusieurs autres filières (kinésithérapie, pharmacie, psychologie...) doivent ouvrir à la rentrée. L’établissement est attaqué de toutes parts par les représentants des professions de santé qui lui reprochent de contourner le numerus clausus. Les étudiants ont lancé une pétition pour réclamer la fermeture de Pessoa et une manifestation nationale a rassemblé un millier de personnes à Toulon en mars. Le Parlement a adopté des mesures pour stopper la prolifération des écoles privées. Mais Fernando Pessoa n’en a cure et prépare la prochaine rentrée universitaire à La Garde, où « Le Quotidien » s’est rendu, mais aussi à Béziers.
LE BÂTIMENT est implanté dans l’hôpital Georges Clemenceau tout près de l’université du Sud Toulon-Var, à La Garde. Sans le panneau extérieur, personne ne se douterait qu’il abrite le centre universitaire le plus critiqué de France...
L’institut privé Fernando Pessoa vit ses derniers jours dans ces murs. Sous la pression des pouvoirs publics, l’hôpital n’a pas reconduit son bail, arrivé à échéance le 28 juin. En ces derniers jours de cours, quelques étudiants sont encore sur place et déambulent de salle en salle dans le cadre de travaux dirigés.
Le directeur de l’établissement, Bruno Ravaz, enchaîne les entretiens pour des inscriptions dans son petit bureau. L’ancien président de l’université publique de Toulon a affiché aux murs un plan de l’enceinte dans laquelle déménagera à la rentrée son centre privé. Malgré les garde-fous que tente d’imposer le législateur sur ces formations privées de santé et malgré les procédures judiciaires en cours (lire ci-dessous), le directeur a de grandes ambitions pour l’an prochain. Ouvert en novembre 2012, le centre est affilié à l’Universidade Fernando-Pessoa (UFP, du nom du célèbre poète portugais) qui a créé une école de santé privée à Porto et a même ouvert son propre hôpital avec 200 lits.
90 étudiants... pour commencer.
À Toulon, l’UFP n’a accueilli qu’une centaine d’étudiants cette année en odontologie (60 étudiants) et en orthophonie (29). Mais l’an prochain, plusieurs nouvelles filières doivent ouvrir : en pharmacie (60 places), physiothérapie (60), psychomotricité (40), psychologie (une centaine de places), criminologie (100) et en sciences de l’entreprise (100).
Une nouvelle antenne doit également ouvrir ses portes à Béziers qui accueillera des étudiants en odontologie (60) et en kinésithérapie (60). « Nous avons reçu beaucoup de pré-inscriptions, environ 4 fois plus que de places disponibles, se réjouit Bruno Ravaz. On a parmi eux des fils de médecins, de dentistes et de pharmaciens ».
Les titulaires d’un bac scientifique seront retenus après examen de leur dossier. À Pessoa, les candidats aux métiers de santé ne manquent pas. Ce sont très majoritairement des étudiants recalés de la première année commune aux études de santé (PACES). Chloé en fait partie. Après un premier échec en PACES à Marseille, la jeune femme de 19 ans a retenté sa chance. « J’ai raté une matière au 1er semestre et j’ai vu que je ne pourrais pas améliorer mon classement. J’ai arrêté et je suis venue ici en janvier pour faire dentaire ».
Recalés de la PACES.
Après deux ans de formation à La Garde et trois ans au Portugal, Chloé veut revenir passer son internat en France. « On a toujours la crainte de ne pas pouvoir s’installer en France mais normalement, ils ne peuvent pas refuser notre diplôme portugais », explique-t-elle.
Mis en cause sur le coût des formations (de 2 850 à 9 500 euros par an), Bruno Ravaz contre-attaque. « Les écoles de commerce ne sont pas gratuites, leurs études coûtent au moins aussi cher que chez nous ». Les parents sont d’ailleurs souvent prêts à payer ce prix pour réaliser le rêve de leur enfant. Matthieu, mention bien au bac S, a été recalé en PACES pour n’avoir pas su gérer son stress. « Il voulait absolument faire dentaire, témoigne sa mère. La solution était de l’envoyer en Belgique mais j’ai entendu parler de cette école. C’est une solution B pour des gens motivés mais qui pour de mauvaises raisons ont échoué ».
Forcer le changement.
Une jeune femme et ses parents venus de Montpellier sont venus pour se renseigner. Après trois ans de prépa, Céline a échoué au concours d’entrée de kinés. « J’ai terminé 400ème sur 4 000 candidats et il n’y avait que 100 places, explique-t-elle. J’ai pourtant eu 20 en chimie et 13,8 en bio mais ça n’a pas suffi ! » Céline est venue se rassurer sur la formation car elle était « très inquiète des polémiques lues sur Internet ». Si elle est retenue, elle passera ses deux premières années en France et finira pendant 18 mois sa formation à Porto avec des cours en anglais et des examens en français.
Le centre compte pour l’heure une soixantaine d’enseignants. « Il faut forcer le changement », lâche l’un d’eux, qui dirigera la filière de kinésithérapie à Béziers l’an prochain. Pour ce professionnel, le numerus clausus a créé « des pénuries dans plusieurs spécialités médicales en France ». « Les Ordres valident des praticiens étrangers et jouent aux pucelles effarouchées avec nos étudiants, s’insurge-t-il. On ne va pourtant pas envahir la France avec nos 120 kinés formés tous les ans ».
Diplôme portugais.
Alertés par les syndicats des professions de santé, très hostiles, qui dénoncent une formation mercantile et dont ils doutent de la qualité, les pouvoirs publics ont tenté de riposter. Les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur, et jusqu’au Premier ministre, sont montés au créneau. Ils affirment que l’Université Fernando Pessoa, « même dans le cas de diplômes qu’elle octroie et qui sont reconnus au Portugal, n’a pas la compétence pour délivrer des diplômes portugais en France ».
Bruno Ravaz s’inscrit en faux. « En tant qu’association, nous ne délivrons pas de diplôme en France mais 120 ECTS (système européen de transfert et d’accumulation de crédits, NDLR) à nos étudiants qui ont le statut d’étudiants externes. Ils postulent ensuite pour être pris en 3ème année de licence dans la discipline qu’ils ont choisie à Porto », affirme-t-il.
Les étudiants qui iront au bout de leur cursus auront donc un diplôme portugais valable dans toute l’Union européenne, affirme le directeur de l’UFP. « La reconnaissance est automatique pour l’odontologie, la pharmacie, les sciences humaines et sociales, les sciences et technologies, assure Pessoa sur son site. Pour certaines formations (orthophonie, physiothérapie) chaque État peut vérifier le niveau d’enseignement et de stages accomplis pour autoriser l’exercice sur son territoire ».
Fernando Pessoa n’entend pas en rester là. Elle envisage l’ouverture d’une filière en médecine « quand la formation aura été habilitée au Portugal », conclut Bruno Ravaz. Toulon, Béziers... Le centre privé n’a pas fini de faire parler de lui.
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