Précepte enseigné en management, la pyramide de Maslow, du nom du célèbre psychologue, décrit la santé comme un besoin humain primaire. Et vivre en bonne santé est une condition indispensable de bonne intégration sociale. Pourtant, l’espérance de vie à 35 ans d’un ouvrier français est inférieure en 2011 de 6,5 ans à celle d’un cadre, selon l’Insee, pour une espérance de vie moyenne de 65 ans. Des écarts qui restent stables depuis 25 ans. Pas tous égaux devant la santé ? Oui, mais en quoi ?
La maladie chronique : investir sur le long terme
Diabète, obésité, maladie respiratoire… Alors que la maladie aiguë est de dimension quasi exclusivement médicale, la maladie chronique intègre une dimension individuelle et sociale. « Mais la médecine contemporaine est une médecine de soin et non de prévention », comme le souligne Gwen Menvielle, épidémiologiste spécialiste des inégalités sociales de santé, chercheuse à l’Institut Pierre-Louis (Inserm, UPMC). La difficulté pour le médecin réside ainsi dans le message de prévention dont l’interprétation est socialement différente et fait des moins favorisées les personnes les plus exposées.
Comportement individuel : cause exclusive et directe de pathologies ?
La consommation de tabac est plus importante dans les milieux défavorisés, les ouvriers restant, en 2014, les plus nombreux à fumer quotidiennement (37,8 %) selon l’Inpes. Cela explique-t-il le nombre plus important de cancer des poumons et des VADS dans ces populations ? Certes, ces facteurs de risque sont liés à la maladie mais il ne faudrait pas faire de lien trop simpliste. Si l’on ajuste tabac et alcool, les chiffres sont formels : il y a toujours plus de cancers du poumon et des VADS chez les travailleurs « manuels » (Menvielle G., International Journal of Epidemiology, 2004). Et pour cause, ce sont les plus exposés aux produits toxiques cancérigènes. En 2003, sur 2 370 000 travailleurs exposés aux cancérigènes, 70 % étaient des ouvriers et 20 % des intermédiaires de l’industrie et de la santé selon le rapport de l’InCa en 2010. Des difficultés de prévention, de formation mais aussi de surveillance et de réparation des cancers liés à ces expositions renforcent ces inégalités.
Même si médecin du travail, Plan santé environnement, Plan cancer, dispositif européen se renforcent pour pallier ces difficultés, les expositions professionnelles engendrent une inégalité d’incidence en « défaveur » des moins favorisés.
Dépistage, prévention : sources d’inégalités
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Ces inégalités d’incidence ne sont pas isolées. Facteur d’égalité en théorie, le dépistage est en réalité un facteur d’inégalité. On le sait, le sur-diagnostic de lésions précancéreuses augmente l’incidence de pathologies à des stades précoces de la maladie qui sont contrôlables et « guérissables ».
« Mais ce sont les plus favorisés socialement qui sont les plus diagnostiqués », explique Gwen Menvielle. C’est ainsi qu’on retrouve plus de cancers de la prostate avec un meilleur pronostic chez les patients venant de milieux aisés. Le dépistage du cancer du col de l’utérus est un exemple frappant du manque d’équité des soins dont le gradient social est en défaveur des plus bas niveaux socio-économiques avec un odd ratio de
5,74 entre les deux extrémités de la hiérarchie sociale.
Certains soulignent le rôle central du médecin dans le maintien de l’information sur les dépistages et dans l’incitation au dépistage comme en témoigne une étude de l’Institut national de la veille sanitaire (InVS)en 2008 rapportant un lien fort entre dépistage des cancers gynécologiques (sein et col de l’utérus) et l’accès au médecin (Duport N., Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique, 2008). Effectuer un des deux dépistages (mammographie ou frottis) influence la pratique du deuxième, le dépistage du cancer du sein étant lui-même favorisé par l’accès au médecin. Bien que le principal facteur favorisant le dépistage du cancer du col soit d’ordre socio-économique, avoir accès au médecin augmente la pratique du frottis. De nombreuses études françaises et internationales se rejoignent sur le rôle majeur du médecin dans l’augmentation de la pratique des dépistages des cancers et également dans l’amélioration des connaissances des patientes.
Autant que le dépistage, la prévention induit elle aussi des inégalités. Le mauvais suivi de grossesse, la mal-observance du traitement par acide folique font le lit des malformations neurologiques et des déficits cognitifs. Des handicaps sociaux qui creusent encore les inégalités. Une mauvaise information, une absence d’éducation à la santé qui se poursuit dans l’enfance engendrant l’obésité, gros pourvoyeur de pathologies cancéreuses et maladies cardio-vasculaires. L’écart entre les enfants d’ouvrier et de cadre s’observe aussi bien en terme de surpoids (respectivement 12,1 % et 8,6 %) que d’obésité (respectivement 7,6 % et 2,6 %). Avoir des parents ouvriers étant associé à un Odds Ratio de 1,65 (Fernandez D., BEH thématique, 2-3 janvier 2007).
Faudrait-il insister plus, expliquer mieux, plus longtemps, revoir plus souvent ceux qui n'en ont pas les moyens ?
Des maladies plus fréquentes mais aussi plus graves
La mortalité par maladies cardio-vasculaires, de 14 % plus élevée chez les ouvriers (Jougla E., La Découverte/Inserm, Paris), serait liée à la gravité initiale de la maladie par un diagnostic plus tardif, un recours plus tardif au système de santé. La prévalence de l’hypertension artérielle reste plus élevée chez les personnes les plus défavorisées.
Un gradient social expliqué en partie par la qualité de communication entre le médecin et son patient variant en fonction du milieu social.
Des « protocoles tout faits »
La compréhension réciproque facilite les conseils et la discussion autour des facteurs de risque alors qu’il peut être tentant d’appliquer des « protocoles tout faits » quand il est plus long et plus difficile de se faire comprendre. Cependant, la promotion de la santé ne peut pas être le rôle exclusif du médecin. En dehors de la nécessaire adaptation des politiques de santé, un accompagnateur personnalisé ou « patient navigator », interface entre le médecin et le patient, pourrait-il comme dans certains pays anglo-saxons aider à lutter contre la formation des inégalités sociales de santé ?
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