ROSP et CMU font-elles bon ménage ? C’est tout l’objet d’une étude réalisée par l’Assurance Maladie, en 2014, qui cherchait à établir une éventuelle incidence de la précarité d’une patientèle sur les indicateurs de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) d’un généraliste. Retenant notamment la part de CMU comme
« mesure » de la précarité, la CNAM s’est penchée sur les résultats obtenus en 2012 par près de 30 000 médecins sur les 19 indicateurs.
Les caractéristiques d’une patientèle dont une part importante bénéficie de la CMU ? Plutôt jeune et relativement peu en ALD. S’agissant des médecins, ils reçoivent globalement plus leurs patients et réalisent plus d’actes. Ce qui ne les empêche pas d’avoir des résultats mitigés sur certains indicateurs de la ROSP, comme ceux liés à la réalisation de mammographies, de frottis ou encore concernant le suivi du diabète. Mais
« comment éviter que certains médecins soient pénalisés par le fait d’avoir une patientèle défavorisée », s’interrogeait en avril 2014 Frédéric Van Roekeghem, alors à la tête de l’Assurance maladie ?
À la même époque, MG France a mené une étude similaire. Feuilles de soins électroniques, exercice rural ou urbain, âge des patients, dosage de l’HbA1c : les données recueillies auprès de 400 généralistes ont été passées au crible. Et force est de constater, pour MG France, qu’« un taux de CMU bas est corrélé avec une patientèle âgée et des médecins dont les indicateurs de dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus sont élevés (…) ». Dans le même sens, il apparaît aussi, que « les indicateurs de suivi des "maladies chroniques" (nombre des dosages HbA1c, prescription d’aspirine faible dosage) sont inversement corrélés au taux de CMU de la patientèle : les médecins recevant plus de CMU ont de moins bons indicateurs de suivi ».
Qu’ils émanent de la CNAM ou de son syndicat, ces résultats n’ont pas surpris Gilles Urbejtel, membre du bureau de MG France. « Au moment de la mise en œuvre de la ROSP, on sentait instinctivement que la prévention n’était pas bonne dans certains quartiers », se souvient ce généraliste installé dans une « zone urbaine sensible » de Mantes-la-Ville. Outre des données moins bonnes s’agissant de la prévention, le généraliste note que si « les prescriptions sont les mêmes selon le niveau social, l’observance de la prescription est, elle, différente ». Cela tient, à ses yeux, à « des difficultés à expliquer » les ordonnances et aux possibles « dépenses de soins supplémentaires » qu’elles engendrent.
Un mécanisme qui « fait progresser tout le monde »
[[asset:image:8561 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":[]}]]Dr François ALLA
La ROSP n’aggrave pas les inégalités, ça a plutôt tendance à les réduire
Professeur de santé publique à l’université de Lorraine
Dans ces conditions, faut-il faire le procès de la ROSP ? Professeur de santé publique à l’université de Lorraine, François Alla ne le pense pas. Il souligne pour sa
part que la ROSP « n’aggrave pas les inégalités, ça a plutôt tendance à les réduire ». Alors qu’« il y a des inégalités très fortes au départ », pointe-t-il « un resserrement global vers la moyenne en termes d’objectifs ». À défaut de résorber les inégalités sociales de santé, le mécanisme de la ROSP permet, selon lui, de « faire progresser tout le monde », contrairement aux dispositifs et programmes nationaux de prévention qui, faute d'être ciblés, ne profitent qu’aux personnes les plus favorisées.[[asset:image:8556 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":[]}]]
Les indicateurs de la ROSP ne prennent pas en compte la qualité des soins
Dr Gladys IBANEZ
Généraliste, maître de conférence à Paris VI
Si Gladys Ibanez ne doute pas que la ROSP permette d’améliorer la qualité des soins, elle est dubitative quant à une réduction des inégalités. « Les indicateurs de la ROSP ne prennent pas en compte la qualité des soins, regrette cette généraliste et maître de conférences à Paris VI, il manque la prise en compte de la situation sociale des patients ». Et d’ajouter : « La prévention est souvent le parent pauvre des inégalités sociales de santé, elle a tendance à être oubliée quand tout s’accumule sur une seule consultation ».
Comment alors prendre davantage en compte les inégalités sociales de santé en pratique quotidienne ? Entre la création d’un indicateur lié à l’enregistrement de la situation sociale des patients et la pondération d’autres déjà existants, les suggestions ne manquent pas pour rendre socialement plus efficient le paiement à
la performance des médecins. Gilles Urbejtel plaide également pour la présence de secrétariat dans les cabinets. détaille-t-il. Plus largement, François Alla est
partisan « de structures d’appui qui assurent l’interface entre le médical et le médico-social »
Article précédent
Douleur chronique, moins de disparités régionales, mais…
Article suivant
Maladie veineuse, la double peine ?
Vaccination, l’exception qui confirme la règle ?
Pathologies cardio-vasculaires : le mal de la France d’« en haut »
Le diabète, une maladie emblématique des ISS
« Etre égalitaire ne signifie pas être équitable »
Dis-moi combien tu gagnes, je te dirai comment tu vas !
Douleur chronique, moins de disparités régionales, mais…
Les disparités sociales sont-elles solubles dans la ROSP ?
Maladie veineuse, la double peine ?
Et dans la vraie vie, ça se passe comment la prévention ?
Gynécologie : des inégalités intra-genre…
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes