Dr Jean-Paul Ortiz (CSMF) : « Les médecins libéraux sont entre révolte et amertume »

Publié le 06/07/2015
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : S. Toubon

LE QUOTIDIEN : La CSMF juge que la grande conférence de la santé est une mascarade et boycotte les travaux préparatoires. Pourquoi cette politique de la chaise vide ?

Dr JEAN-PAUL ORTIZ : La coupe est pleine, elle déborde même. Depuis l’annonce de la loi de santé, la CSMF a marqué son opposition totale, son rejet du tiers payant généralisé, de la mise sous tutelle de la médecine libérale, du démantèlement des métiers, de la marginalisation des cliniques. Hélas, rien n’y a fait, la machine infernale a continué. Fin décembre, nous avons arraché des groupes de travail pour aménager le texte. L’écoute n’a pas été au rendez-vous... Le 15 mars, 40 000 à 50 000 médecins toutes générations confondues sont descendus dans la rue. Quelle a été la réponse à ce mouvement historique ? Manuel Valls nous a promis une grande conférence de santé ! C’est totalement inadéquat. Nous lui avons dit le 19 mars et redit le 1er juillet. Le Premier ministre est resté droit dans ses bottes et il nous a assuré que la loi de santé irait à son terme, en particulier sur le tiers payant.

Pire enfin, Matignon a constitué un comité de pilotage de la conférence de santé, méprisant et caricatural, avec des hospitalo-universitaires et seulement deux médecins libéraux [sur 20 personnes] dont une généraliste de MG France qui défend le tiers payant généralisé... Trop c’est trop.

Les syndicats de jeunes médecins, eux, participent à la conférence de santé. N’y a-t-il pas une fracture générationnelle ?

Il n’y a pas de fracture générationnelle mais des priorités stratégiques différentes. Les jeunes défendent des revendications spécifiques sur la formation, la rémunération des gardes, la durée de leur cursus, le statut...

C’est pourquoi ils continuent de discuter avec le gouvernement. Mais nous pensons que la survie de la médecine libérale se joue maintenant. C’est maintenant qu’il faut se faire entendre.

Les collectifs protestataires fleurissent en ordre dispersé. Faut-il envisager un nouveau mouvement syndical unitaire à la rentrée ?

Les mouvements spontanés – Roanne, Tarbes, Quimper... – sont d’abord le fruit d’initiatives individuelles ou collectives, qu’il faut soutenir. Mais les médecins libéraux ne sont pas une armée de soldats, où quelqu’un décrète telle action, tel jour. Le 15 mars, notre mouvement historique n’a pas été entendu. Les médecins sont aujourd’hui entre révolte et amertume, c’est pourquoi la colère s’exprime sur le terrain.

La réalité, c’est que cette loi de santé ira à son terme. Ceux qui demandaient son retrait intégral en sont pour leurs frais. La CSMF se battra au Sénat, sans illusion, puis lors des décrets d’application. Ensuite, on fera tout pour obtenir une loi rectificative. Souvenez-vous : la loi Bachelot, qui était déjà une très mauvaise loi, a été votée puis corrigée par une autre loi [Fourcade] qui a éliminé certaines mesures toxiques. Je ne mise pas sur une quelconque alternance politique mais plutôt sur le bon sens des parlementaires.

Ne contribuez-vous pas à une forme de surenchère en appelant à la désobéissance civile ?  

Nous sommes dans un État de droit mais pour la première fois la CSMF a clairement appelé à la désobéissance civile. Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous estimons que certaines mesures législatives adoptées par la représentation nationale sont contraires aux intérêts propres des patients et des médecins. Exemple : le tiers payant intégral pour les bénéficiaires de l’ACS est théoriquement en vigueur depuis le 1er juillet. Mais il est inapplicable sur la part complémentaire ! Les cartes Vitale ne sont pas à jour, les contrats ne sont pas forcément agréés, les patients ne sont pas informés... Ce tiers payant intégral pour les ACS, c’est prématuré, donc c’est niet. Ce n’est pas du refus de soins. En son âme et conscience, comme cela se fait déjà, chaque médecin pratiquera le tiers payant dans toutes les situations sociales qui le justifient.

Propos recueillis par Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du Médecin: 9426
Sommaire du dossier