Casse-tête du tiers payant : plus de 550 témoignages reçus, ce que les médecins nous disent

Publié le 08/11/2014
tiers payant

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Crédit photo : S. Toubon

Mesure controversée, la généralisation du tiers payant est programmée pour 2017. Un changement radical pour les médecins qui ne percevront plus leurs honoraires directement par leurs patients. Pourtant, la majorité d’entre eux pratiquent déjà ce mode de paiement, notamment pour les malades bénéficiant de la CMU et de l’AME. Que pensent-ils du tiers payant ? Sont-il favorables à sa généralisation ?

« Le Quotidien » a posé la question à ses lecteurs à travers une enquête en ligne déclarative, menée durant le mois d’octobre. Vous avez été nombreux à nous répondre et à livrer vos impressions de terrain.

Au final, 569 réponses ont été retenues, 98% d’entre elles issues de médecins essentiellement libéraux (97%). Conclusion : le rejet du dispositif est massif. Et pourtant… ceux qui le pratiquent le plus sont favorables à sa généralisation. Revue de détail.

48% de mécontents du système actuel

Selon les résultats de notre enquête, 18% seulement des praticiens se disent satisfaits ou très satisfaits du tiers payant tel qu’il est actuellement pratiqué. Près d’un médecin sur deux en est mécontent. Autant dire que la généralisation du système les inquiète. Parmi leurs motifs d’insatisfaction, les tracas administratifs, le manque à gagner et les délais de paiement qui dépasse parfois plusieurs mois (voir ci-dessous).

 
Un casse-tête administratif

Pour 86 % d’entre vous, le tiers payant est synonyme de tracas administratifs. Une plainte revient systématiquement : le fastidieux pointage des paiements de la Sécu, surtout lorsque ces derniers arrivent avec un retard de plusieurs mois !

« Impossible d'effectuer les rapprochements entre les montants facturés et les sommes versées par la CPAM. Complexité insupportable ! » s’agace ce médecin. En cas de non paiement, c’est la croix et la bannière pour obtenir gain de cause, expliquent ses confrères qui évoquent des « démarches lourdes », « des recours chronophages en téléphone et en courrier »… À cela s’ajoute une multitude de problèmes : carte Vitale non à jour ou inexistante, médecin traitant non déclaré (ou obsolète), ayants droit non listés, disparition mystérieuse de feuilles de soins (perdues par la CPAM ?)... Et les « difficultés vont se multiplier avec les mutuelles… » en cas de généralisation, anticipe un praticien. « En moyenne, c’est 1h30 de travail par semaine », se plaint un généraliste installé en libéral.

La solution ? Déléguer : « Je suis biologiste et j’ai embauché deux secrétaires qui passent leur journée à récupérer des milliers d'euros en souffrance qui ne m'ont pas été payés par la Sécu ou les mutuelles. » À condition de pouvoir se le permettre…

Paiement : des délais hors convention pour les feuilles de soins papier !

En moyenne, le règlement d’une feuille de soins électronique (FSE) se fait en 5 jours ou moins. C’est ce que 77 % d’entre vous nous disent. Le constat n’est pas le même dans le cas des feuilles de soins papier (FSP). Vous êtes 76 % à mentionner un délai supérieur à 20 jours. On pourra certes objecter que les FSP sont aujourd’hui minoritaires. Mais ces délais à rallonge sont source de désorganisation pour les médecins. D’autant plus que le retard dépasse parfois un an !

 

En cas de retard, les médecins sont souvent désarmés face à une CNAM souvent dure d’oreille. Pourtant, la convention lui impose des délais très précis sur le paiement des actes : 5 jours pour les FSE et 20 jours pour les FSP. Dans ce dernier cas, il est clair qu’elle ne respecte pas ses engagements. Qu’en sera-t-il avec la généralisation du tiers payant ?

Un impact financier pour près d’un médecin sur deux

Le tiers payant, une solution aux impayés ? Non, si l’on en croit l’expérience de ceux qui le pratiquent. Vous êtes près de 48 % à estimer que son impact financier est négatif, contre près de 17 % à y voir un gain (35 % n’y voient pas d’impact). La faute une fois encore à un système complexe qui se bloque au moindre grain de sable. « Installé depuis moins de 2 ans et déjà plusieurs centaines d'euros d'impayés liés au tiers payant », regrette un généraliste.

Face au labyrinthe administratif, de nombreux médecins renoncent à faire la chasse au paiement : « La perte de temps et le coût des relances et diverses formalités conduisent à la renonciation et donc à une perte d'honoraires définitive. » « Courir après le pognon ! Rentrer tous les soirs à 22h30, c'est pas une vie ! Et vu ce que coûte une secrétaire c'est pas pour gérer le tiers payant généralisé que je vais la payer quand j'en aurai une ! » Les médecins sont désabusés...

86% disent non à la généralisation… mais ceux qui pratiquent le plus disent oui

Ce n’est pas une surprise : les médecins ayant répondu à notre enquête sont massivement opposés à la généralisation du tiers payant. Moins de 14% d’entre eux seulement y sont favorables. La plupart des mécontents du système actuel sont inquiets de l’impact de cette mesure sur leur métier et sur leurs relations avec les patients.

 

Un chiffre appelle cependant à nuancer ce constat. Parmi les médecins qui pratiquent le plus le tiers payant (plus de 75% des actes), la tendance s’inverse : ils sont 62 % à souhaiter sa mise en place. Certes, ils sont minoritaires parmi les praticiens interrogés (moins de 10%), mais ils se disent satisfaits, voire très satisfaits du système actuel. Parmi ceux qui enregistrent plus de 50% de leur activité en tiers payant, ils sont un sur deux à y être favorables.

« Facilité de paiement pour certains patients, assurance d'être payé pour le médecin, moins de chèques impayés, moins de passages à la banque. » Ce spécialiste, adepte de la première heure de la carte Vitale, n’y voit que des avantages. Ils sont nombreux à estimer que la généralisation du tiers payant facilitera l’accès aux soins pour tous. Et « les relations avec les patients sont apaisés », explique ce confrère qui n’éprouve plus de difficulté à faire payer ses malades à qui il refuse un arrêt de travail…

Ces médecins optimistes ne minorent pas pour autant les problèmes administratifs et les difficultés à recouvrer l’intégralité des honoraires. Ils soulignent la nécessité d’avoir une informatique efficace pour assurer le suivi comptable. Ils redoutent également les problèmes de gestion avec la montée en charge du dispositif et la multiplication des mutuelles. Bref, oui au tiers payant, à condition d’améliorer le système et, insistent certains médecins, de tenir compte de leurs avis sur le terrain, et non de celui des technocrates !

Ce qui fait peur aux médecins

Déresponsabilisation des patients, gestion chronophage, perte financière, surconsommation médicale… Les médecins sont clairement inquiets vis-à-vis d’une généralisation du tiers payant. Ces inquiétudes se retrouvent dans le nuage de mots (ci-dessous) établi à partir des termes qui reviennent le plus fréquemment dans les témoignages reçus à la rédaction du « Quotidien ». Nombre de médecin vivent cette mesure comme une dévalorisation de leur métier.


Le sentiment de « soviétisation de la médecine », d’« assujettissement des médecins » reviennent fréquemment. « C’est la mort de la médecine libérale avec un risque de glissement vers un salariat », s’alarme un psychiatre.

« Cela donne une impression de gratuité pour le malade qui modifie la relation patient médecin » note un rhumatologue. « Les gens sont de moins en moins responsabilisés par rapport à leur santé et ce que coûtent réellement les soins », écrit un généraliste, qui insiste pourtant sur la nécessité de faciliter l’accès aux soins aux « personnes à petit revenu ». Nombre de médecins, opposés ou non au tiers payant, montrent d’ailleurs leur attachement à garantir aux plus démunis un accès aux soins. Le comportement des patients et le risque de surconsommation est cependant une préoccupation majeure.

Pourtant, les praticiens qui pratiquent le plus le tiers payant (supérieur à 75 % des actes) ne relèvent pas de dérive dans ce domaine. « Cela ne change en rien le comportement moyen du patient », témoigne un généraliste. « Si cela devait coûter plus cher à la Sécu, on ne proposerait pas cette mesure », ironise un confrère.

S. L.

Source : lequotidiendumedecin.fr
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