L’incertitude commence à l’instant où l’on voit le patient en salle d’attente. « Et c’est une belle incertitude qui fait plaisir, se réjouit le Dr Olivier Kandel, généraliste à Poitiers. Elle est spécifique à notre profession, médecin de premier recours : à l’inverse de ce qui se produit pour les autres spécialités, qui savent à peu près à quoi s’attendre en termes de plaintes, guidés aussi par le courrier du correspondant généraliste, le champ des possibles est pour nous largement ouvert. »
Première incertitude : Est-ce grave ? La résolution de ce problème prendra-t-elle du temps ? Le cas sera-t-il complexe ? Toutes ces questions que l’on envisage parfois avec gourmandise peuvent être vécues comme inconfortables par les confrères plus jeunes. Deuxième incertitude : ce patient s’est-il décidé à consulter pour une, deux raisons ou davantage ? Ils le font en moyenne pour 2,2 problèmes de santé à la fois… Ce qui déstabilise parfois dans le cadre d’une consultation limitée en temps. La parade ? « Je les invite à me prévenir d’emblée du nombre de sujets qu’ils comptent aborder », indique le Dr Kandel.
En médecine générale, l’absence de certitude diagnostique est la règle. « À l’issue de plus de 3 quarts des consultations, le diagnostic est incertain, constate le médecin, et ce, pour différentes raisons, défaut de plateau technique, temps d’observation limité, etc. Nous sommes par ailleurs très en amont dans la genèse de la maladie, au tout début des symptômes. »
La difficulté tient à la prise en charge syndromique… Le patient consulte non pas pour un ulcère, mais des épigastralgies. « Et ce peut être, détaille le Dr Kandel, un ulcère certes, mais aussi une angoisse, une pancréatite ou un infarctus du myocarde postérieur. » Pour le praticien, cette incertitude fait la complexité… et l’intérêt du métier.
Moins d’une fois sur 4 donc, un diagnostic certifié est posé. « Pour apprivoiser l’incertitude quand un diagnostic ne peut être porté, je nomme la situation clinique, je la qualifie », propose le Dr Kandel. Le résultat de la consultation est une certitude clinique, pas diagnostique, alors possiblement transmissible à un autre médecin sans perte de chance pour le patient. « En nommant la situation clinique, épigastralgies en l’occurrence, j’ai écarté, avec les armes dont je dispose, décrit-il, l’hypothèse d’une cholécystite, d’une angoisse, etc. ». Le masque d’une pathologie grave est écarté. « Une construction intellectuelle clinique qui me rend l’incertitude plus supportable », résume-t-il.
Du souhaitable à l'acceptable
Ainsi, si certains tableaux cliniques sont faciles à qualifier, un asthme par exemple, un syndrome grippal ne veut rien dire car cela recouvre une kyrielle de situations… Dans ce contexte, positif, où l’on nomme une situation clinique, les signes négatifs, tels que colligés dans les dossiers hospitaliers, sont contre-productifs et accroissent l’incertitude. « À l’image d’un marin qui navigue en plein Atlantique, dans l’incertitude diagnostique, mes certitudes cliniques me servent de balises », explique le Dr Kandel.
Enfin, l’incertitude de l’observance inquiète, à juste titre (l’inobservance concerne au moins un tiers des patients), sur la qualité des soins. Ce que l’« on » vient de décider a-t-il été bien compris ? Correspond-il à ce qui est attendu ? Le patient attend souvent d’être rassuré, plutôt qu’un médicament : un « je ne sais pas ce que c’est, mais ce n’est pas grave » est sans doute plus efficace sur un mal de ventre qu’un antalgique… « Il nous faut donner le souhaitable, le patient dit ensuite ce qu’il lui est possible, et nous nous accordons sur un acceptable », conclut le Dr Kandel qui reconnaît la place privilégiée du médecin de famille : il peut commencer tout doux sur des objectifs communs, devenir pressant si la situation le justifie, en ayant quelque chance d’être écouté.
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