Médicaments

2050, l’ère du tout ARN ?

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Publié le 19/12/2022
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Vaccins, cancers, maladies congénitales… Propulsée sur le devant de la scène par le Covid, l’ARN pourrait à l’avenir permettre le développement de nombreux médicaments, bien au-delà des seuls vaccins contre le SARS-CoV-2.

Crédit photo : SPL/PHANIE

L’avenir des vaccins et des médicaments réside-t-il dans l’acide ribonucléique (ARN) ? Certes, « personne ne peut prédire le futur de la médecine et de la pharmacie », estime le Pr Patrick Couvreur, président de l’Académie nationale de pharmacie. Mais selon lui, l’utilisation de l’ARN pourrait bel et bien « modifier complètement l’industrie pharmaceutique » d’ici 2050.

En fait, la promesse de l’ARN est simple : permettre aux cellules humaines cibles de produire elles-mêmes des protéines d’intérêt médical, qu’il s’agisse d’antigènes vaccinaux ou de molécules thérapeutiques.

Pourtant, peu avaient jusqu’à présent misé sur l’ARN. De fait, depuis sa découverte dans les années 1960 jusqu’à la fin des années 2010, la molécule avait suscité peu de travaux de recherche pharmaceutique.

Et pour cause : contrairement à l’ADN, l’ARN était réputé trop fragile pour donner lieu à des développements thérapeutiques. De plus, la difficulté était d’apporter une telle molécule à l’intérieur des cellules cibles. « Des approches d’encapsulation utilisant des lipides cationiques avaient donné des espoirs in vitro mais continuaient d’échouer in vivo », rapporte le Pr Couvreur.

Une technologie permettant des développements rapides

Cependant, la science aura finalement réussi à surmonter ces deux obstacles. « D’abord, des chercheurs ont réussi à stabiliser l’ARNm en le modifiant chimiquement », indique-t-il. En outre, le défi de l’encapsulation a été relevé avec succès – grâce à l’utilisation de phospholipides ionisables. D’où l’arrivée de premiers vaccins à ARNm.
Or ces vaccins ouvrent de nouvelles perspectives. D’abord du fait de leurs performances – « les vaccins à ARNm anti-Covid-19 confèrent une protection supérieure à 90 % contre les formes graves, et leur sécurité a été mieux confirmée qu’avec tout autre médicament », insiste le Pr Couvreur. Mais surtout, leur développement rapide après l’apparition du SARS-CoV-2 ainsi que leur adaptation accélérée au variant Omicron montrent l’agilité de la technologie.

Des espoirs pour des pathologies encore sans vaccin

Si bien que de nouveaux candidats vaccins émergent déjà. À commencer dans des pathologies déjà couvertes par des vaccins. Le but : atteindre une meilleure efficacité ou un spectre d’action plus vaste. Ainsi, un vaccin à ARNm universel contre la grippe est à l’étude aux États-Unis. Et Moderna plancherait sur un vaccin combiné contre diverses infections hivernales. En outre, des travaux suscitent des espoirs pour des pathologies jusque-là dépourvues de vaccin, à l’instar de la bronchiolite ou encore du sida. Par exemple, Moderna a lancé un premier essai clinique sur un vaccin à ARNm anti-VIH expérimental début 2022.

Mais les possibilités offertes par l’ARN dépassent le champ de la vaccinologie. Car la molécule pourrait aussi booster le développement de nouveaux traitements curatifs. D’ailleurs, un médicament contenant non pas de l’ARNm mais un petit ARN interférent (ARNsi) est d’ores et déjà sur le marché. Il s’agit du patisiran, indiqué contre l’amyloïdose.

Des avancées attendues pour le cancer

En fait, « l’ARN présente de nombreuses applications thérapeutiques dans les maladies liées à une protéine manquante (comme chez certains hémophiles) ou anormale (comme la vasopressine dans le diabète insipide, des protéines de surfactant pulmonaire dans certaines maladies congénitales, etc.) », explique le Pr Patrick Couvreur.

D’ici 2050, « on peut aussi rationnellement espérer des avancées dans le domaine du cancer », avec par exemple le développement d’ARN thérapeutiques codants pour des protéines pro-apoptotiques.

Restent toutefois plusieurs défis à relever. En thérapeutique se pose notamment la question de la dose. « L’enjeu est de générer dans les cellules cibles une production de protéine thérapeutique en quantité suffisante et sans doute plus importante qu’en vaccinologie – une faible quantité d’antigène étant suffisante pour provoquer une réaction immunitaire », explique le Pr Couvreur.

Et en vaccinologie, l’ARNm ne constitue pas une clé universelle à tous les verrous. D’abord car un antigène protéique suffisamment stable et immunogène – à l’instar de la protéine Spike du SARS-CoV-2 – pourrait ne pas être identifié dans toutes les infections. Par ailleurs, alors que les vaccins à ARNm actuels s’avèrent peu efficaces contre la contamination par le SARS-CoV-2, restent à explorer de nouvelles voies d’administration, notamment muqueuses.


Source : Le Généraliste