Exercice

Portrait-robot du médecin généraliste du futur

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Publié le 19/12/2022
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À quoi pourrait ressembler le généraliste de demain ? Où pourrait-il exercer et selon quelles modalités ? Comment ses compétences pourraient-elles évoluer et pour quelles innovations technologiques pourrait-il opter ? Pourrait-il être secondé par un assistant robotisé ou, au contraire, voir son rôle se renforcer ? Pour tenter d’y voir plus clair, la rédaction du Généraliste a voyagé dans l’espace-temps et imaginé le généraliste de 2050.

Crédit photo : adobe stock.com

Installez-vous confortablement. Détendez-vous et fermez les yeux pour faire un bond d’un peu plus de 25 ans dans le temps. Plus que quelques petits réglages avant le grand voyage…

Crissssh 1… 2… 3… partez ! À peine la machine lancée, vous voilà déjà arrivés. Vous êtes en France en 2050. Posez un pied sur le sol et observez…

Qui, quoi, où, comment ?

D’après les projections de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) réalisées en 2021, la majorité des collègues généralistes que vous allez rencontrer en 2050 sont des femmes.

Tous modes d’exercice confondus, elles sont en effet, en 2050, 83 000 sur un total de 129 000 médecins généralistes, représentant un peu plus de 64 % de la profession.

Pour rappel, elles représentaient 30 % de la profession en 1990 et un peu moins de la moitié (49 %) en 2021. Au cours des dernières décennies, la féminisation de la profession de généraliste n’a cessé de progresser. Elles sont finalement devenues significativement majoritaires en 2030 (60 %).

Autre évolution notable ? Le généraliste de 2050 est aussi plus jeune qu’en début de siècle. La majorité (58 %) des généralistes que vous devriez rencontrer en 2050 ont moins de 49 ans. En 2021, seuls 50 % des omni­praticiens avaient moins de 49 ans.

En ce qui concerne la démographie médicale, depuis 2022, le nombre total de médecins généralistes a significativement augmenté sous l’effet, notamment, de la suppression du numerus clausus depuis la rentrée 2021. En 2050, on compte ainsi 129 000 médecins de famille en France, contre 93 000 en 2022 et ce, tous modes d’exercice confondus.

Une autre manière d’exercer

Doit-on pour autant dire adieu aux déserts médicaux en 2050 ? Pas si sûr. Puisqu’en cette moitié de siècle, 30 % de la population (1,6 million de Français) est âgée de 65 ans et plus. Et la hausse de la densité médicale – qui passe de 126 médecins généralistes pour 100 000 habitants en 2022 à 183 pour 100 000 habitants en 2050 – n’est pas suffisante pour absorber la forte demande de soins liée à l’augmentation des maladies chroniques en France.

Mais pour mieux se projeter en 2050, revenons dans le présent pour interroger plusieurs témoins de notre époque, notamment le Dr Paul Frappé, médecin généraliste et président du Collège de la médecine générale (CMG).

D’après lui, les généralistes qui, après leur sortie d’internat, ne pratiqueront pas ou alors partiellement l’art d’Hippocrate pourraient être un facteur d’exacerbation de la tension entre l’offre et la demande de soins en 2050.

Il s’agit d’ailleurs déjà aujourd’hui d’une tendance observée par le Dr Frappé : « Depuis des années, il y a des médecins journalistes, des médecins responsables de département d’information médicale des CHU, des médecins esthéticiens… En fait, beaucoup ne pratiquent pas la médecine générale et il est difficile de lutter contre ce phénomène au long cours », relate-t-il.

S’agissant de l’installation et du mode d’exercice des jeunes médecins en 2050, y a-t-il des évolutions à prévoir ? Sur ce premier point, « il n’y a aucune raison qu’en 2050 les futurs médecins généralistes s’installent davantage dans les zones sous-dotées si l’on ne change rien », observe Julien Mousquès, directeur de recherche à l’Irdes (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé) et enseignant-chercheur à l’EHESP (École des hautes études en santé publique).

« En effet, reprend-il, si l’on raisonne sur la période des quinze dernières années, le processus d’installation des jeunes médecins n’a pas conduit à réduire les inégalités de répartition sur les territoires. Pour y parvenir, un ensemble de leviers s’offrent aux pouvoirs publics, comme le fait d’essayer d’amener, dans les études médicales, des profils dont on peut penser qu’ils auront plus de chance de s’installer là où l’on en a besoin. Par exemple, des étudiants originaires de milieux ruraux. »

Avec l’ajout d’une quatrième année au DES de médecine générale prévu à la rentrée 2023, on peut supposer que la tendance a un peu évolué. « Certains territoires pourraient être destigmatisés grâce à cette quatrième année. Si elle est réalisée intelligemment, les étudiants pourraient envisager de s’installer dans les territoires où ils l’ont réalisée », estime Julien Mousquès.

En ce qui concerne le mode d’exercice des généralistes, il y a fort à parier qu’ils se soient davantage tournés, en 2050, vers l’exercice en groupe, aujourd’hui en plein essor. En 2019, 81 % des généralistes de moins de 50 ans exercaient déjà en groupe. Ce mode d’exercice est d’ailleurs tendanciellement privilégié par les femmes, qui, rappelons-le, seront majoritaires en 2050.

Comme le rappelle Julien Mousquès, « de génération en génération, on constate un attrait pour l’exercice en groupe et notamment en groupe pluriprofessionnel ». « Nous sommes passés de 0 % de généralistes exercant en groupe pluriprofessionnel en 2000 à 20 % en 2021. La croissance est très très forte et s’amplifie chaque année. Aucun signal ne laisse à penser que cette attractivité se tarira d’ici 2050 », estime l’enseignant-chercheur.

Tous salariés ?

L’un des scénarios catastrophe imaginé par Dr Paul Frappé est qu’en 2050, « tout soit géré de manière collective, un peu comme une grosse entreprise qui fait partie du GHT (groupement hospitalier de territoire) ».

« Tous les médecins libéraux sont, quelque part, considérés comme des salariés de la Sécu. Ils sont tous aux 35 heures, ce qui a un impact direct sur l’offre de soins. Le médecin est déresponsabilisé, devient un technicien et un applicateur de procédures. Et finalement, un exécutant à tous les niveaux. La prévention et le soin ne peuvent plus être individualisés. Ils se font juste par l’application de procédures de check-up », craint le généraliste, qui mise toutefois sur un scénario plus optimiste.

Le médecin stéphanois imagine alors un médecin de famille aux prérogatives renforcées. « Le métier de généraliste a évolué. Son plateau technique s’est amélioré et il peut faire de l’échographie ou de la biologie sur place avec des point of care tests (tests de diagnostic médical à proximité, ndlr). Au-delà du plateau technique, je pense que le généraliste est reconnu dans d’autres dimensions et d’autres activités, comme la psychothérapie. Il a enrichi sa palette. »

Pour Julien Mousquès, il est toutefois inéluctable qu’un glissement de terrain se soit opéré en 2050 et que d’autres professionnels aient hérité de compétences médicales par souci « de productivité ». « D’ici 2050, la demande de soins devrait constituer une pression suffisante pour que chacun comprenne qu’une modification de la répartition des activités est nécessaire », estime l’enseignant-chercheur.

L’usage de nouvelles technologies

Par ailleurs, en 2050, l’usage des innovations numériques et technologiques a bouleversé la façon d’exercer la médecine.

« La relation médecin-patient pourrait être profondément modifiée par le biais de la technologie », présage aujourd’hui Julien Mousquès. Si cette prédiction n’a rien de surprenant, il est toutefois pertinent de s’interroger sur l’intérêt que ces innovations présentent pour le patient.

Selon l’enseignant-chercheur, la téléconsultation pourrait par exemple permettre de suivre à distance des patients chroniques stabilisés. « Dans certains pays, on constate que la téléconsultation permet d’améliorer l’accès aux soins dans des zones très urbanisées où il est très coûteux en temps de transport de rejoindre le cabinet médical. »

Un avis que partage le Dr Paul Frappé : « Aujourd’hui, on s’aperçoit progressivement des limites de la téléconsultation (surprescription, non-respect du parcours de soins, etc.), notamment pour tout ce qui est de l’ordre de l’aigu. Mais je pense que son usage peut basculer petit à petit vers le chronique. C’est là que la téléconsultation peut trouver toute sa pertinence ».

Sans apprendre aux étudiants à exercer la médecine avec des robots humanoïdes, il est probable que le métavers ait pris une place, en 2050, dans la formation des futurs médecins. « En médecine générale, un certain nombre d’actes techniques et de procédures ne doivent pas être découverts pour la première fois face aux patients. Le métavers pourrait avoir un intérêt pour améliorer la gestuelle et la communication des futurs médecins », résume le Dr Paul Frappé.

*Ce portrait-robot du médecin généraliste en 2050 a été imaginé grâce à plusieurs entretiens ainsi qu’à des projections et enquêtes provenant de la Drees et de l’Irdes. Certaines des hypothèses formulées et imaginées par l’auteure sont toutefois sujettes à caution et frôlent la fiction.


Source : Le Généraliste