Au-delà de la gestion dans l’urgence des crises sanitaires, quel est le rôle exact du Covars en matière d’anticipation des risques sanitaires ?
Pr Brigitte Autran : Le rôle du Covars est d’analyser les risques sanitaires émergents ou les conjonctures particulières qui pourraient conduire à une crise et d’envisager les moyens de les prévenir. Par exemple, nous avons une saisine sur les maladies à transmission vectorielle. Avec le réchauffement climatique qui fait monter vers le nord certains moustiques et les migrations humaines qui ne cessent de croître, on sait qu’il y a un risque de plus en plus élevé que ces maladies s’accélèrent dans les zones intertropicales mais aussi qu’elles s’installent dans les zones tempérées, notamment en Europe. Face à ces phénomènes, l’enjeu pour nous est de faire des recommandations qui permettent de se préparer, que ce soit en matière de vaccins (en précisant par exemple ceux dont le développement doit être accéléré), de lutte antivectorielle (dans une démarche One Health), etc.
Au-delà de ces leviers spécifiques, l’idée est aussi d’anticiper avec une vision générique car on ne pourra jamais prévoir toutes les crises. Avec notamment un enjeu fort en matière de recherche. Le Covid a mis en évidence l’importance de la recherche ambulatoire. Il faut donc créer dès maintenant – et il y a un consensus absolu là-dessus – une organisation qui permette aux généralistes et aux urgentistes de faire de la recherche, ce qui a été très difficile en France pendant la pandémie mais qui a été possible au Royaume-Uni…
Il y a aussi tout un travail à mener sur les risques psychosociaux liés aux crises sanitaires. Il faut se préparer à mieux prendre en charge le vécu par les populations de ces situations de crise, améliorer la communication en temps de crise, etc.
Votre périmètre va au-delà des seuls risques infectieux et concerne aussi les risques alimentaires, environnementaux… Parmi toutes ces menaces, quelles sont les plus préoccupantes pour le futur ?
Pr B. A. : En matière d’alimentation, s’il y a en permanence des alertes, cela prend rarement une dimension de santé publique au niveau national. Et comme il s’agit le plus souvent de contaminations, on reste in fine dans le domaine du risque infectieux. Même chose concernant le risque environnemental puisque les changements climatiques ou les pollutions vont surtout agir en déséquilibrant les flores microbiennes… Donc globalement, c’est quand même le risque infectieux qui reste prépondérant.
Doit-on craindre une multiplication des épisodes épidémiques, voire pandémiques, dans les prochaines décennies ?
Pr B. A. : Le fardeau des maladies infectieuses va croître, c’est évident. On a déjà presque une épidémie sévère tous les ans et cela va s’accélérer. On est en phase de changement climatique et dans un contexte de grande promiscuité humaine. Or on sait que toutes les grandes épidémies ont été liées à des migrations humaines et à des changements climatiques…
Peut-on espérer, en revanche, tordre le cou à certaines épidémies comme celles d’hépatite C et de VIH, dont l’élimination constitue un objectif de santé publique officiel ?
Pr B. A. : Pour l’hépatite C, cela est théoriquement possible grâce aux nouveaux traitements qui guérissent en moins de six mois. Le problème, c’est que la maladie n’est pas éradiquée au niveau planétaire car il y a un problème d’accès aux médicaments qui coûtent cher et, pour le moment, il n’y a pas de vaccin. L’épidémie est donc loin d’être terminée.
Quant au VIH, même si l’OMS établit des objectifs très ambitieux, on sait bien qu’ils sont quasi inatteignables. Le vaccin est extrêmement compliqué à développer, les médicaments marchent bien mais ne guérissent pas… Nous ne sommes donc vraiment pas sortis de la pandémie.
Dans cette optique de risques infectieux croissants, la vaccination, via notamment les vaccins à ARNm, est-elle appelée à se développer davantage ? Serons-nous tous multivaccinés à l’horizon 2050 ?
Pr B. A. : On est saisi sur la question des vaccins à ARNm et leur place future dans l’arsenal vaccinal. Dans un premier temps, je pense que c’est surtout vis-à-vis des infections émergentes qu’ils feront la différence. Car souvent, les virus pour lesquels il est relativement facile de faire des vaccins sont justement ceux à l’origine d’infections émergentes.
En revanche, il y a des virus comme celui de la dengue, le VHC ou encore le VIH pour lesquels les choses sont plus compliquées sur le plan immunologique. Pour ces pathogènes, les vaccins à ARN aideront peut-être à avancer dans la mise au point d’un vaccin mais il est très peu probable que cela soit la panacée.
Dans ce contexte, comment devrait évoluer la place et le rôle des généralistes dans l’anticipation et la gestion des crises sanitaires, notamment sur le plan infectieux ?
Pr B. A. : Nous avons déjà parlé de la nécessité de développer la recherche en ambulatoire. De façon plus générale, nous pensons vraiment que les premiers recours médicaux que sont les généralistes et les urgentistes doivent être associés de façon plus étroite à la gestion de ces crises sanitaires, avec davantage d’échanges avec le milieu hospitalier.
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