Pr Pascal Pujol, président de la SFMPP

Médecine prédictive : « Le déterminisme génétique sera identifié pour toutes les pathologies »

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Publié le 19/12/2022
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Cette médecine de précision qui s’appuie sur les données génomiques connaît un essor important depuis quelques années. Elle aura à l’avenir des implications majeures pour un très grand nombre de maladies, prédit le Pr Pascal Pujol*, médecin oncogénéticien au CHU de Montpellier et président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP).

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En quoi consiste exactement la médecine prédictive et personnalisée ?

Pr Pascal Pujol : La médecine prédictive est la médecine de précision qui s’applique à la prévention, la médecine personnalisée au diagnostic et au traitement. Cette précision augmentée est en grande partie le résultat d’analyses génétiques. Si cette médecine de précision est souvent associée à la médecine de demain, elle est en réalité aujourd’hui très effective. Pour preuve : on dispose actuellement, en cancérologie, de 122 médicaments qui ont des AMM portant sur des anomalies génétiques de tumeurs. Mais il est très probable qu’à l’avenir, cette discipline connaisse un formidable essor.

En génétique, les progrès technologiques sont quasi-quotidiens. En 2022, on a réussi à effectuer le séquençage complet d’un génome humain en sept heures trente (il avait fallu 15 ans pour le décrypter la première fois, à la fin du siècle dernier), un record qui sera sûrement bientôt battu… Au final, cette médecine prédictive se développera car le temps et le coût pour réaliser des analyses génétiques complexes ne seront plus des facteurs limitants.

À l’avenir, les analyses porteront-elles sur quelques gènes ou bien sur l’ensemble du génome du patient ?

Pr P. P. : Pour beaucoup de pathologies, le nombre de gènes impliqués est très important : environ 500 gènes dans les cancers, 800 dans la déficience intellectuelle par exemple. Donc tant pour la prévention, le diagnostic que pour les traitements, les analyses génétiques nécessitent d’être suffisamment larges. Ainsi, à l’avenir, on devrait de plus en plus utiliser des technologies pangénomiques. En France, on ne doit pas réitérer nos erreurs passées en se limitant à des analyses génétiques trop ciblées. Nous avons en cela perdu du temps par rapport à d’autres pays, retard que le Plan France médecine génomique est en passe de combler.

Cela signifie-t-il que l’on ira vers des analyses génétiques tous azimuts chez tous les patients ?

Pr P. P. : C’est un des sujets souvent débattus en médecine prédictive. En fait, il faudra encadrer l’analyse pangénomique par ce que l’on peut trouver au-delà de ce que l’on recherche. En dehors des analyses ciblées portant sur la pathologie étudiée, seules les données génétiques pouvant apporter un bénéfice au patient méritent d’être recherchées. Les analyses génétiques devront prendre en compte les données incidentes actionnables, c’est-à-dire sur lesquelles on peut agir, on peut avoir une réponse. Un exemple : si, chez une femme, par l’analyse d’un exome effectuée dans le cadre d’une déficience intellectuelle, on détecte un gène BRCA, il paraît essentiel d’en informer la patiente pour qu’elle puisse effectuer les démarches nécessaires personnellement et auprès de certains membres de sa famille. Un autre exemple : si, lors d’une analyse pangénomique réalisé chez un jeune patient souffrant d’un cancer, on identifie qu’il est porteur du gène CFTR de la mucoviscidose à l’état hétérozygote (présent chez une personne sur 30), ne paraît-il pas normal de l’informer vis-à-vis de son futur projet d’enfant ?

Aujourd’hui, le diagnostic d’une pathologie se fait sur un faisceau d’arguments cliniques, d’imagerie, biologiques… À l’avenir, ne se fera-t-il pas principalement par une analyse génétique ?

Pr P. P. : Non, car nos connaissances de l’épigénétique et des protéines devraient fortement progresser, en même temps que se développeront d’autres outils diagnostiques utilisant l’algorithmie et l’intelligence artificielle qui permettront d’intégrer et d’analyser l’ensemble des données propres à chaque patient. Cependant, même si la génétique n’est qu’une facette du déterminisme de notre santé et des maladies, pour certaines pathologies, elle intervient de manière prépondérante. Si un nombre limité de cancers sont d’origine génétique familiale, en revanche, dans toutes les tumeurs cancéreuses existent des anomalies génétiques (pouvant être provoquées par des facteurs extérieurs, comme le tabac, la pollution, etc.). C’est pour cette raison que l’analyse génétique des tumeurs est essentielle, en particulier pour l’indication de traitements actuellement disponibles, mais aussi pour la mise au point de nouveaux traitements.

Dans le futur, la médecine personnalisée s’appliquera-t-elle à un nombre de pathologies toujours plus grand ?

Pr P. P. : Pour l’heure, la médecine personnalisée a de réelles applications dans beaucoup d’affections : cancers, déficience intellectuelle, cardiomyopathies… Récemment, dans l’insuffisance rénale adulte, grâce à des analyses pangénomiques réalisées par Laurent Mesnard, il a été démontré qu’une anomalie génétique peut être identifiée chez un patient sur quatre, avec des conséquences diagnostiques et thérapeutiques (beaucoup de traitements sont actuellement en développement). Dans l’autisme comme dans beaucoup de maladies rares, les progrès sur la génétique sont majeurs… Mais, en réalité, ce déterminisme génétique est en train d’être identifié pour toutes les pathologies humaines, sans être forcément le premier agent causal, puisqu’il y a des interactions plus ou moins importantes avec les facteurs environnementaux.

Quel sera, demain, le rôle du généraliste avec le développement de la médecine de précision ?

Pr P. P. : Son rôle sera majeur ! Le médecin généraliste est le professionnel qui a des connaissances sur l’ensemble des pathologies de ses patients. Ayant une approche horizontale de leur santé, il est le plus à même de les orienter correctement. Il est déjà, aujourd’hui, un acteur de la génétique puisqu’il peut prescrire une analyse pour la recherche du gène HFE dans l’hémochromatose. De la même façon, les gynécologues peuvent prescrire la recherche de la mutation du gène du facteur V Leiden pour déterminer le risque thrombotique. À l’avenir, il y aura certainement un élargissement des prescripteurs pour effectuer des analyses génétiques. Il ne faut pas que la génétique s’enferme dans une spécialité citadelle.

*Le Pr Pascal Pujol est auteur du livre Dépasser la chimio, éditions Humensciences, 2022


Source : Le Généraliste